Une soirée banale...
L’étage est sombre et silencieux. Trois petites chambres et un palier. Deux enfants dorment.
L’un dans son lit à barreaux (histoire de l’habituer à sa vie d’adulte). Autour de lui des peluches, une boite à musique qui n'émet plus aucun son. Un petit meuble avec ses vêtements, un autre avec les papiers importants de la famille (des feuilles d'impôts et des factures…), et un rameur. Pourquoi un rameur ? Parce que de temps en temps la maman se prend pour Gérard d’Aboville… la mer est toujours d’huile, les mouettes sont toujours discrètes et propres, et le port d’amarrage jamais bien loin.
Sur le palier, la guerre fait rage ! Une source de lumière éclaire un combattant... qui fatigue ! Sa gorge est sèche. Ses bras sont groggy de toutes les charges qu’il essaye de soulever… mais qui restent définitivement ancrées dans le sol. Il cherche des idées, un point d’appui pour faire bouger le monde, une pensée révolutionnaire, un concept riche et irrésistible… Les pages noircissent mais aucun édifice ne s’élève. La tâche est ardue, peut-être surhumaine, mais tant qu’il n’a pas été démontré qu’elle était impossible le chercheur de trésor travaille toujours à sa transmutation en inventeur.
Le grand frère est dans sa propre chambre. Les pirates l’entourent, le font de temps en temps tomber de son lit, lui ou ses doudous. Une cache secrète renferme des livres, des centaines d’histoires déjà épuisées mais qui lues et relues ne se fanent pas. Des jouets, beaucoup de jouets… pour enfant, mais aussi pour adultes. Des guitares, une basse, un tas d’ampli, des micros, un vieil harmonica, une paire de baguettes presque neuves, une flûte à bec (vestige des années collèges). De quoi faire naître du silence quelques mélodies improvisées pour divertir l’enfant qui découvre les défis magiques de l’art : faire naître du rien la beauté. Une armoire, des vêtements, des super-héros cousus pour doubler le prix de l’article, des pulls trop petits et des vêtements d’été qui n’ont jamais été portés. Une étagère, assez haute pour y ranger dans ses parties supérieures les jouets qui veulent plus de mal que de bien au plus petit habitant de l’étage. Un tapis reproduisant des routes, des feux rouges, des passages piétons… la ville, ses règles et sa pollution, le tout miniaturisé pour entrer dans les chambres des enfants et leur rappeler que même s’ils rêvent de devenir des pirates, ils ne seront jamais que des urbains.
Sur le palier, les mélodies s’enchaînent. Pour se donner la force d’avancer ? Pour que le cerveau reste actif malgré l’heure tardive ?... Parce que la musique est un bonheur, une chance et que la technologie, malgré des aspects négatifs, permet d’apporter la culture dans tous les cerveaux qui la réclament. Et il faut écrire, fouiller, réfléchir… un crayon à la main ou en martelant un clavier d’ordinateur, les idées s’enchaînent… mais rien de transcendant. Rien qui ne puisse bousculer une conviction arrimée solidement. Rien de tellement simple et logique qui ne puisse faire chanceler les esprits les plus… cons ?...Incapables de remise en question ?... Incapable de doute et de compassion ?... Non ! Les esprits les plus contaminés. Si l’homme était intelligent il n’en serait pas là. Si j’étais intelligent, j’aurais déjà trouvé…
La dernière chambre est vide. Un grand lit, un très grand lit pour abriter beaucoup d’amour… ou pour que l’un puisse lire avec la lumière allumée sans empêcher l’autre de dormir. Un porte-manteau presque toujours nu, une chaise qui ne porte jamais d’humain mais supporte la nuit des vêtements et des téléphones. Sur la tête (...de lit), des livres, un réveil débranché (qui n’a jamais été rebranché après une semaine de vacances hors de la maison), un joueur de hockey vestige d’un couple d'expatriés parti depuis longtemps. La petite fenêtre n’a que très rarement la chance de laisser passer la lumière dans la pièce… un morceau de tissu constamment tiré lui vole toute son utilité. La porte ne ferme pas. On ne se protège pas, on ne s’isole pas de 2 enfants en bas âges.
Sur le palier, la lumière va s'éteindre. L’ordinateur sauve un travail inutile. Le monde sera dans le même état demain soir… peut-être sera-t-il pire... mais il faudra rallumer et retenter sa chance. Disposer des idées les unes à côtés des autres. Les manipuler, les mélanger, les voir grandir, avec l’espoir que le hasard fasse un jour exploser le concept ultime. Comme le phonographe et la pénicilline, la prochaine révolution intellectuelle du monde se fera peut-être par sérendipité...
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