Pas de bras...
Il est facile d’accuser la télévision de beaucoup de maux, mais les malheurs de Vincent ne peuvent être dissociés de cette boite capable de lobotomiser toute une population tout en procurant la richesse aux marionnettes du piètre spectacle.
En un an, sa vie avait basculé. Marié, père d’un petit garçon... en un peu plus de trois cents jours, il était devenu un divorcé croisant sa progéniture un weekend sur deux.
Le drame s’était joué un samedi matin. Lassée de la mauvaise réception de l’antenne posée sur le toit de sa maison, la femme de Vincent avait, à force d’arguments et de pression, convaincu son mari de sortir une échelle et de jouer les équilibristes pour régler une fois pour toute ce maudit râteau.
Le ciel était nuageux. Un petit vent se frayait un chemin parmi les branches des arbres alentours.
“C’est mieux comme ça ? demanda Vincent à sa femme.
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C’est mieux, mais essaye de la bouger encore un peu vers moi que l’on voit ce que ça donne.”
Vincent n’eut pas le temps d’appliquer cette directive. Un éclair jaillit du ciel, entra dans son corps par son bras droit, le traversa, pour fuir par ses deux jambes. Vincent ne ressentit rien. Son corps devint immédiatement inerte, roula jusqu’à s’écraser sur la terrasse, aux pieds de sa femme, terrifiée, qui mit quelques secondes à réagir.
Les pompiers arrivèrent rapidement. Le coeur et les poumons de Vincent ne s’étaient pas arrêtés de travailler, ce qui limita le temps que Vincent passa dans le coma.
A peine une semaine.
A son réveil, il découvrit une chambre vide, trop blanche malgré la présence de quelques fleurs.
Un médecin arriva rapidement et après quelques questions de routine pour contrôler son état de conscience lui annonça que son équipe médicale n’avait eu d’autre choix que de lui amputer le bras droit, beaucoup trop endommagé par la foudre.
Vincent tourna la tête à droite et constata. Il vérifia immédiatement la présence de son bras gauche et sourit… il était gaucher.
Le temps éroda ensuite, lentement, ce qu’était sa vie. Il perdit son travail. Sa femme demanda le divorce prétextant le plus le reconnaître. Il laissa la maison familiale pour s’offrir, grâce à une pension de l’Etat, une petite demeure perdue dans la campagne, loin des préjugés et des prix exorbitants de la ville. Il avait besoin d’un jardin et d’assez de pièces pour pouvoir offrir une vraie chambre et une salle de jeu à son fils... quand celui-ci venait le voir.
C’est dans cet endroit à l’écart du monde que Vincent vivait, ou plutôt tentait de se reconstruire une vie. Il cherchait un travail, mais difficile de satisfaire un employeur sans permis de conduire. Alors Vincent se lança un défi : reprendre des cours de conduite et décrocher la fameux papier rose… qui n’a plus que de rose le nom.
Il lui fallu presque 6 mois pour réapprendre à conduire avec un bras en moins. Mais l’aide de la technologie lui permit de réussir ce défi. Il s’acheta, toujours grâce aux aides de l’Etat, une petite voiture équipée pour être conduite sans le bras droit.
Et la liberté lui fut de nouveau offerte.
Jusqu’à ce jour tragique où un concours de circonstances, un destin dont on pourrait penser qu’il essaye de se venger ou le doigt d’un dieu mauvais... le poussa une nouvelle fois dans le fossé.
Vincent avait pris l’habitude de rentrer la nuit sa voiture dans son garage. Ce bien tellement précieux se devait d’être protégé. Malheureusement l’espace offert sous la maison était un peu juste, Vincent devait rabattre les rétroviseurs pour pouvoir garer son véhicule.
Un matin, sortant sa voiture pour aller faire des courses, il ouvrit la fenêtre conducteur pour y passer le bras et déplier le rétroviseur. Une fois fait, il rentra le bras, appuya une fois, sèchement, sur la commande de la vitre. Celle-ci commença à remonter. Seule l’arrivée en fin de course stopperait ce mouvement. Et Vincent se rendit compte que son rétroviseur n’était pas assez déplié. Il sortit le bras pour pousser légèrement le déflecteur et le mettre en position optimale… quand la vitre coinça son bras. Le petit moteur força, Vincent eut mal, et tout s’arrêta. Son bras était pris entre le coude et l’épaule, impossible de le faire rentrer dans la voiture. Vincent bougea sur son siège, essaya d’actionner la commande pour faire descendre la vitre. Impossible. Il s’était penché en avant pour mettre son rétroviseur en place et était maintenant coincé, le torse presque posé sur le volant. Il tenta de klaxonner, impossible d’actionner la commande, derrière le volant.
Vincent tenta de forcer avec son bras valide. Mais rien n’y fit. Au bout d’une bonne demi-heure de lutte, il décida d’appeler à l’aide. Mais personne n’entendit ses cris, personne ne s’inquiéta de son absence.
Il avait son portable sur lui, impossible de l’attraper et de passer un appel. Tout le temps que dura son agonie, celui-ci ne sonna pas.
Personne ne s’inquiéta de son absence.
Lorsque sa femme ne le vit pas arriver le weekend suivant pour récupérer son fils, elle choisit l’explication la plus simple pour elle : enfin, son ex-mari avait renoncé à ses droits sur son fils.
Vincent fut retrouvé deux semaines plus tard par le facteur qui venait lui apporter son programme télé. Peut-être que s’il s’était abonné à un programme télé publié toutes les semaines, il aurait été retrouvé vivant par ce fonctionnaire...
FIN
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