LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

L’espoir martien

 

 

La conquête de Mars battait son plein depuis plusieurs dizaines d’années. Les déménagements entre la Terre et la planète rouge étaient quotidiens. Les financements étaient mixtes : chaque participant devait offrir la totalité de ses biens terrestres pour que son installation sur Mars soit prise en charge par le gouvernement mondial. Cette participation financière de la plus haute autorité dirigeante terrestre lui permettait de sélectionner les participants. Ils devaient être en bonne santé avec un QI minimum, être intégrés dans la société et vivre en famille.

Pourquoi gaspiller de l’argent à bâtir un nouveau monde pour le peupler de fumeurs qui mourraient d’un cancer du poumon dans quelques année ?... qui allaient être une charge pour cette nouvelle société plutôt qu’un atout ? Pourquoi dépenser de l’argent pour déplacer sur une terre nouvelle des révolutionnaires ? Des indépendants qui refusent de marcher dans la même direction que les progressistes ? Seuls les participants motivés, capables de faire évoluer rapidement cette terre rouge vers un eldorado étaient sélectionnés et faisaient le grand voyage.

L’idée secrète du gouvernement mondial terrestre était de déplacer les bons éléments sur Mars et de ne laisser sur la planète bleue que les “populations inutiles”... c’était le terme employé dans les réunion non officielles… un terme qui regroupait toutes les chairs qui n’étaient vivantes que pour servir de matière première à l’industrie mondiale.

Dans l’imaginaire des membres du gouvernement terrestre, la planète bleue sera l’usine du système solaire, royaume du travail à la chaîne et de la bouffe sous vide gavée d’antibiotiques et d’hormones de croissance. La planète rouge sera la proche banlieue, une terre pavillonnaire, un cocon pour les puissants et les riches.

Les inégalités ne seraient plus source de violence et de révolution : les terriens seraient tous au même niveau… au ras du sol. Et plus besoin de fermer les portes des maisons sur Mars : pourquoi voler ce que l’on possède déjà en plusieurs exemplaires ?

Le gouvernement mondial justifiait ses choix auprès du grand public par le besoin de faire évoluer rapidement la planète Mars :

“Pas de temps à perdre. Les plus grands vont aller préparer le terrain. Une fois les plus pénibles travaux effectués, tous les prolétaires pourront partir en vacances sur la planète rouge. Le gouvernent mondial promet même de mettre en place des aller/retour à 1 euro le billet pour les plus pauvres !”

Des navettes partaient tous les jours.

L’industrie terrienne fonctionnait à plein régime grâce à l’exploitation de l’énergie solaire. 100% des activités terrestres étaient alimentées gratuitement par le soleil. Les communications entre Mars et la Terre étaient performantes et étaient utilisées au maximum de leurs capacités pour acheminer les ordres de production, de vente et d’achat, d’embauche et de licenciement.

Un gouvernement provisoire était en place sur Mars. Des homme triés sur le volet. Ils obéissaient tous aux ordres du gouvernement mondial terrien. Ils étaient bien sûr informés de leurs idées. Ils savaient que leur temps était compté, qu’un jour ou l’autre, ils perdraient leur pouvoir pour se retrouver secrétaire d’Etat ou pire, premier secrétaire d’un parti politique.

Le pouvoir ne se quitte jamais de bon coeur.

 

Le gouvernement provisoire réclamait à chaque réunion de plus en plus d’énergie. Les terriens approvisionnaient Mars en fonction de leurs possibilités… mais cela n’était pas suffisant et le manque d’énergie ralentissait la conquête de la terre rouge. Les martiens (comme les appelaient les terriens), réclamaient la construction d’un immense panneau solaire qui serait lancé en morceaux de la Terre (plus proche du Soleil que Mars), assemblé dans l’espace puis rapproché du soleil pour en capter un maximum d’énergie. L'électricité créée serait ensuite envoyée sur Mars sans passer par la Terre. La technologie existait. Ne manquait plus que la volonté politique terrienne.

Et le projet fut bientôt lancé, après des mois d’instance.

 

Le panneau solaire était facilement visible depuis la Terre. Il était gigantesque et se dirigeait vers le Soleil pour lui voler un maximum d’énergie. Les paramétrages pour le transfert  de l'énergie directement vers Mars furent faits.

 

“Nous y sommes, Messieurs.” Le Président du gouvernement provisoire martien était debout. Solennel et droit, sa voix grave signalait à tous qu’un grand évènement était en marche.

“Vous savez tous quel est le projet de nos cousins terriens ? Ils veulent que l’on développe Mars pour ensuite en prendre possession, une fois le plus gros et le plus difficile du travail effectué. Ils veulent propager sur notre terre rouge, pure et vierge de tous crimes, leurs mauvaises pensées : le productivisme, l’exploitation de l’homme à des fins économiques, la course au plus riche, au plus rapide, au plus fort ! Nous sommes d’accords et ne voulons pas de bourses, de prisons, d’attentats, de morts de faim, de prisonniers politiques… Il est temps de nous dissocier de cette Terre d’un autre âge, berceau de tous les maux responsables du malheur des hommes. Nous avons la chance de pouvoir bâtir ici un monde neuf. Nous savons ce qu’il faut faire, et surtout ce qu’il ne faut pas faire. L’avenir est à nous !”

Des “hourras” furent émis. Tous les membres du gouvernement provisoire martien se levèrent et scandèrent un unique mot :

“Mars ! Mars ! Mars !”

 

Le président du gouvernement martien tourna le regard vers un homme en blouse blanche près de lui et lui fit signe de la tête. L’homme poussa un bouton, une procédure élaborée avec précision fut mise en marche.

“La Terre, ici Mars, merci de nous confirmer que vous nous laissez le contrôle du panneau solaire martien.”

“Ici la Terre, le panneau solaire est à vous !”

 

Des “hourras” s’élevèrent une nouvelle fois de la foule.

 

Le panneau solaire fut déplacé et positionné exactement entre le Soleil et la Terre. Il était programmé pour priver les terriens des photons qui constituaient 100% de leur énergie.

“Mars, qu’est-ce qui se passe ?... Mars, vous êtes là ?...”

Puis, faute d’énergie, les appels de la Terre cessèrent.

 

“Nous ne savons pas ce qu’ils vont devenir sans énergie”, reprit le Président du gouvernement martien.

“Mais il faut se réjouir de savoir que l’incertitude a changé de camp. Notre avenir est maintenant totalement entre nos mains. La chance qui est la nôtre aujourd’hui ne doit pas être gâchée. Il est encore trop tôt pour se réjouir. Mes amis, maintenant débarrassé des terriens, à nous de jouer !”

 

 



21/07/2015
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