LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Le Chini : ou l'aventure dont il faut se remettre ! Premier jour.

 

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1er jour : 18/10/14, port de Paimpol :

 

L’espoir d’une aventure hors du quotidien routinier réchauffait le cœur de Vincent depuis plusieurs semaines. C’est armé d’un sac à dos chargé du strict minimum qu’il débarque sur le parking du port de Paimpol. Il connaît déjà le site pour y avoir vécu une première expérience de navigation très positive. Il se présente donc plein d’allégresse dans les bureaux de l’association et cherche à l’aide du tableau le prénom de celui qui sera son chef de bord pendant une semaine. Christophe ? Où est Christophe ? S’il avait su comment allait se dérouler son épopée, il aurait sûrement beaucoup moins insisté pour découvrir l’homme porteur de ce prénom. Une certaine Elodie réagit à l’appel, elle cherche le même homme. Les minutes passent et l’homme finit par se montrer. Il est 14h. Elodie et Vincent espèrent pouvoir lever l’ancre d’ici 2 ou 3 heures.

La cinquantaine passée, la soixantaine bien en vue, le chef de bord invite Elodie et Vincent à s’asseoir autour de lui et plonge son regard dans une série de documents avec l’espoir de décrypter la liste des tâches à réaliser avant le départ. Les regards des 2 matelots en soif d’apprentissage se font inquiétants. Perdu, Christophe tourne ses feuilles, lit et relit comme si un texte pouvait changer de sens entre deux lectures. Il a l’air totalement perdu sous une dizaine de pages.

Les minutes défilent dangereusement. Vincent décide de l’aider…

“Il faut que chacun paye une caution, il va falloir aller faire des courses pour tenir une semaine en mer, puis faire l’inventaire de l’équipement du bateau”. Soudain, une bonne nouvelle résonne aux oreilles des participants : Christophe a déjà fait les courses ! Cette information représentant presque 2 heures de gagnées se révélera beaucoup moins glorieuse dans les heures suivantes, puis totalement négative dans quelques jours.

- Il manque encore une personne, annonce Christophe. Je vais essayer de l’appeler.

Le chef de bord s’absente presque 10 minutes. Les chances de pouvoir lever l’ancre avant la fin de l’après-midi s’amenuisent.

- Je n’arrive à joindre personne, lâche sans inquiétude le chef de bord une fois revenu. La première preuve vient de tomber. La première d’une longue série qui démontreront son incapacité totale face à toute chose...

Après une bonne heure à attendre une quelconque prise d’initiative du chef de bord, les chèques de caution sont faits et tous se dirigent vers le bateau qui devra assurer le confort de chacun pendant les 7 prochains jours. Un homme est toujours manquant. Première jambe lancée par dessus le bastingage. Premiers pas sur le pont puis à l’intérieur. Découverte du carré et de la cabine avant. Il n’y a pas beaucoup de place mais la vie en mer n’est pas réputée pour être faite de confort et d’aisance. La voile est aussi une école de vie… apprendre à naviguer c’est aussi et surtout apprendre à vivre en communauté, apprendre à réfléchir et agir en tant que partie d’un groupe à la recherche d’un même but. Les yeux de Vincent pétillent à l’idée de ce défi qu’il sait pouvoir relever. Les désillusions de son aventure sont pour l’instant bien cachées dans le cerveau de Christophe, le chef de bord sans pédagogie et froussard, d’Elodie la dépressive et d’Olivier, le mutin mythomane égoïste… et retardataire.

Pendant que Christophe farfouille inefficacement dans le carré, Elodie et Vincent s’occupent de commencer l’inventaire. Quatre pages de termes techniques, de voiles qu’il faut identifier sans les déplier, de noms de documents réglementaires encore jamais vus. Finalement, la moitié des items sont cochés. La liste est présentée au chef de bord qui n’en a cure et continue un travail mystérieux et improductif dans le carré.

Les courses sont déchargées du coffre de voiture du chef de bord dans le bateau. Bonne nouvelle pour Vincent, des bouteilles de rhum trônent dans l’un des sacs ainsi qu’un cubi de rouge et de rosé. Les soirées pourraient être longues, la navigation s’arrêtant avant 17h et la diminution de luminosité… on est quand même fin octobre. Les langues se délient mieux une fois l’alcool absorbé. Les pâtes et le riz de marque, mais surtout pas de légumes, sont rangés sans difficulté… l’espace de rangement est si petit que chaque chose trouve immédiatement sa place.

Le chef de bord redresse enfin la tête et saisit la feuille d’inventaire en vue de la déposer à l’accueil de l’association.

- Il y a plein de choses non contrôlées, s’étonne méchamment le chef de bord ! Qui a fait l’inventaire ?

Deux personnes se trouvent sur le bateau. L’une ne réagit pas, Vincent dit qu’il a participé.

- Pourquoi tu n’as pas fini, reprend le fameux Christophe dévoilant pour la première fois sa véritable personnalité ? Ceci dit, cela n’aura pas pris trop de temps...

- Je te l‘ai dit, je n’ai pas contrôlé ce que je ne connaissais pas.

- C’est pas possible, s’énerve presque le chef de bord. Je vais le faire !

Vincent recule d’un pas et reste coi face à cette réaction.

“Cet homme n’est-il pas là pour nous apprendre la navigation ? N’est-il pas censé nous expliquer ce que nous ne comprenons pas, nous définir les termes techniques que nous ne maîtrisons pas ? Apparemment non…”

  Il coche sans explication la bonne présence des documents administratifs qu’il trouve dans un classeur remis par l’association.

Prouvant qu’il n’a toujours rien compris, le chef de bord se retourne vers Vincent et lui demande d’ouvrir le bidon de survie.

- Tu peux contrôler qu’il y a bien trois drapeaux dedans ? Il énumère ensuite les lettres nécessaires qui, bizarrement, n’ont rien à voir avec le fameux SOS. Vincent se demande encore aujourd'hui pourquoi...

Vincent fouille le bidon et trouve plusieurs drapeaux avec des couleurs et des formes géométriques. Ne connaissant pas ce code, il présente les fanions au demandeur. Celui-ci ne lève pas le regard, ne parle pas, et attend. Dans sa manipulation, Vincent se rend compte que sur chaque drapeau se trouve une petite étiquette explicitant la lettre que représente chaque drapeau. Le hasard et le bon sens sont donc plus efficaces qu’un chef de bord…?

Finalement tout est prêt, mais manque encore une personne… les basses œuvres achevées, le retardataire se présente enfin au bateau. Olivier, belge, dont la première question est :

- On part bientôt ?

Les retardataires sont souvent les plus pressés… et les premiers concernés souvent les derniers informés. Le chef de bord répond sans lever le regard, toujours occupé dans le carré à farfouiller :

- On ne peut pas partir aujourd’hui, la marée, l’écluse du port, etc… nous ne pourrons partir que demain.

Cette déclaration arrive vers 17h, soir 3 heures après l’heure de rendez-vous. La déception gagne les rangs.

- Alors on part quand, demande Vincent ?

- Il y a 2 possibilités : soit demain vers 5h du matin, l’heure de la marée haute, soit demain après-midi à partir de 15h, l’écluse ouvre 2 heures avant la plein mer.

Immédiatement tout le monde s’accorde pour un départ à 5h du matin. Tout le monde ? Non... le chef de bord prône la sûreté pour dissimuler sa peur et vote pour un départ à 15h. Le chef de bord étant avant tout le chef, c’est son opinion qui sera suivie. Nous découvrirons par la suite que l’heure de départ du port a été fixée par l’association, de même que l’heure de retour après la semaine de mer, qui pour l’instant n’est pas abordée mais sera source d’une nouvelle déception.

- Vous avez acheté des œufs, demande le belge qui n’a forcément participé à rien ?

- Oui, répond le chef de bord.

- Parce que c’est indispensable pour moi le matin !

- J’aime pas les œufs, reprend Elodie, et j’aime pas le matin !

Le ton est donné. Et ne voyez pas là un mauvais jeu de mot liant le physique grossier de cette demoiselle et un poisson délicieux quand il est bien préparé.

Elodie prévient aussi qu’elle est allergique à la fumée de cigarette, donc hors de question de fumer sur le bateau. Olivier, seul fumeur à bord, semble avoir du mal à accepter cette idée. Des journées entières sans fumer ? Christophe en rajoute : “il est de toute façon interdit de fumer sur un bateau !”. Première nouvelle… “c’est la loi française, reprend Christophe. Interdiction de fumer dans les lieux publics...” L’unique tentative d’Olivier de fumer à une dizaine de mètres d’Elodie se soldera par une forte quinte de toux et les remontrances du chef de bord. Rappelons que le bateau est toujours à quai… et qu’il ne mesure que 9 mètres 60 !

Après un dîner au restaurant à la demande d’Olivier qui ne peut pas passer une soirée sans se faire servir à table... après donc avoir bien mangé, notamment Elodie qui a englouti deux crêpes salées jambon champignons de bonnes tailles avant de se lâcher sur un fondant au chocolat… tous se dirigent vers le bateau pour un repos nullement mérité, vu la distance parcourue sur les flots en cette première journée de navigation.

- Je dors dans le carré près de la table à carte, ordonne le chef de bord, pensant que cela rassurerait tout le monde de le savoir prêt à consulter les cartes au beau milieu de la nuit, le bateau bien amarré au port.

- Moi aussi je dors dans le carré, ordonne Olivier. Je suis claustrophobe et ne peux pas dormir dans la cabine avant.

Sans aucune forme de négociation et dans le but de satisfaire les exigences de ces deux personnalités, Elodie et Vincent se préparent donc à partager la cabine avant.

 

1ère nuit : du 18/10/14 au 19/10/14, port de Paimpol.

 

La nuit dévoile rapidement son hostilité. Olivier lit dans sa couchette à l’aide d’une frontale. Sa lumière est plus puissante que tout l’éclairage standard du bateau. Il est ravi de partager sa lumière avec ceux qui espèrent dormir... mais il est rapidement dérangé dans sa lecture par les ronflements du chef de bord qui doit sûrement essayer d’imposer une autorité loin d’être naturelle en privant son équipage de sommeil. Olivier se sent obligé de commenter chacun des ronflements qui déchirent le bateau.

Elodie a de la chance, ses deux crêpes salées et son dessert pharaonique l’ont aidée à s’endormir rapidement. Tout son corps est maintenant rythmé par un léger ronflement.

De son côté, Vincent ne sait comment réagir : Olivier éclaire tout le bateau et se plaint toutes les cinq secondes de ne pas pouvoir lire tranquillement. Christophe ne cesse de ronfler de plus en plus fort. Trouver le sommeil devient une quête digne du graal.

Finalement, tard dans la nuit, tout le monde trouve un sommeil réparateur... pour quelques heures… jusqu’à 6h du matin pour être précis, heure à laquelle le réveil du belge de quarante-cinq ans se met à sonner. Tout l’équipage est réveillé. Christophe meugle son incompréhension dans une foison de gros mots. Elodie râle. Vincent, épuisé par sa courte nuit, ne comprend pas pourquoi personne n’éteint ce réveil. Dans le doute, il va même jusqu’à vérifier son portable qui n’a pourtant jamais sonné ainsi. Finalement, Olivier réagit et coupe la sonnerie… et se rendort au milieu d’un équipage fatigué… je retire immédiatement ce mot d’”équipage”. L’école de la vie qui doit apprendre à faire passer l’intérêt du groupe avant l’intérêt personnel ne donnera aucun cours cette semaine. Pendant les sept jours qui vont suivre, le Chini ne verra aucun équipier hisser ses voiles, border son foc ou larguer ses amarres… il ne verra que quatre individualités… deux à la recherche du leadership, une en pleine dépression et la dernière fascinée par la bêtise et l'égoïsme dont peuvent être capables des humains dans un milieu confiné.

 

A suivre...

 

 

 



03/11/2014
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