LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Le Chini : ou l'aventure dont il faut se remettre ! Cinquième jour.

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5ème jour : 22/10/14, port de Tréguier.

 

Après une journée de navigation perdue… après une journée de revitalisation gagnée... tout l’”équipage” est pressé de reprendre la mer. Un accord commun a été trouvé au cours de la soirée précédente pour que le départ se fasse vers 8h. L’heure de lever est donc fixée à 7h. Le réveil sonne, tout le monde bouge. Elodie, encore allongée dans sa couchette, attrape le bras du chef de bord et, tout en désignant Olivier, lui dit d’un ton sec : “s’il fait comme hier matin je lui casse la tête !”. Christophe détourne le regard et fait comme s’il n’avait rien entendu.

Sur le point de partir, chacun récupère son gilet de sauvetage. Christophe insiste en disant que “MON gilet, c’est celui avec les deux lettres “O” et “K” écrites dessus”. Peut-être trouve-t-il son “équipage” trop bête pour connaître l’expression mondialement connue… Vincent ne peut s’empêcher de rester stoïque face à cette manière de communiquer. Peut-être que ce chef de bord considère tout simplement le reste du monde comme un troupeau d’incultes à qui il faut tout prémâcher ? Troupeau qu’il ne faut surtout pas éduquer de peur qu’il n'empiète sur son petit pouvoir ? Vincent a du mal à imaginer cet homme dans son travail quotidien d’enseignant...

Le temps est toujours incertain. Il y a un peu de pluie, la mer n’est pas d’huile. Le chef de bord insiste pour que chacun revête son ciré. Elodie répond qu’elle ne mettra que le haut et restera en jean. Réponse cinglante de Christophe : “si tu n’as pas de ciré tu ne sors pas sur le pont”. Elodie ne mettra pas son ciré et sortira quand même sur le pont... quelques rares fois. La majeure partie de sa journée étant consacrée à l’occupation de sa cabine.

Olivier saisit la balle au bond et profite de cette exigence de ciré pour rappeler, sans que personne ne lui demande rien, les cinq ennemis du marin. Loi appelée aussi “ loi des cinq F”.

- Il y a cinq choses dont il faut se méfier sur un bateau, professe Olivier. La faim, la foif, le froid…

Et il s’arrête là. Il réfléchit, longtemps.

- La frousse et la fatigue, termine Vincent qui ne veut pas laisser un “équipier” perdu dans une phase de réflexion laborieuse.

Cette “loi des cinq F” est basée sur une chute humoristique, puisque “la soif” est remplacée par “la foif”. Cet effet ne fonctionne que si “la foif” est citée en dernier… ce qu’Olivier ne semble pas avoir bien compris.

Lors d’une des sorties furtives d’Elodie sur le pont, Olivier lui propose de prendre la barre. Bel acte de générosité de sa part qu’il faut souligner. Elle se met donc en place et teste la franchise de cette fameuse barre, puisque c’est cette caractéristique qui la rebutait. Elle n’y est pas habituée mais vu l’étendue d’eau sans obstacle qu’il y a autour du bateau, cela ne représente aucun danger… sauf pour le chef de bord ! Qui, voyant Elodie barrer, s’emporte et ordonne qu’Olivier reprenne la maîtrise du bateau. Personne ne comprend. Autour de nous, à plusieurs miles à la ronde, de l’eau, de l’eau, et rien que de l’eau. Certes, à en croire la carte que Christophe connaît maintenant par cœur, nous sommes dans une passe... mais qui ne mérite ce nom qu’à marée basse. Nous nous y aventurons à l’heure de la pleine mer. Le risque n’est pas nul mais fortement proche de zéro. Le maître des cartes reste sur le pont quelques instants pour repérer les bouées entre lesquelles nous devons passer. Car bien sûr, naviguer dans une passe ne se fait pas au cap et à la boussole, un chemin est balisé. Mais d’après le chef de bord, il y a quand même un risque. Surtout quand des dauphins se mettent à sauter autour du bateau ! Cela a duré une petite minute. Olivier, à la barre, fasciné comme tous les autres par le spectacle, lâche tout, se lève et s'émerveille. Tout le monde a les yeux grands ouverts face à ce spectacle. Tout le monde ? Bien sûr que non ! Le rabat-joie de service est là et hurle devant notre inconscience.

- Il ne faut pas lâcher la barre parce qu’il y a des dauphins ! Il y en a partout des dauphins ! On ne va pas se foutre sur les cailloux à cause de ça ! Mais vous n’êtes pas bien ?...!

Chacun retrouve son calme et reprend son poste. Les dauphins sont partis. Autour de nous les premiers rochers sont à plusieurs miles. Nous naviguons entre les bouées. La mer est haute. Et j’allais oublier, nous sommes au moteur car... “c’est beaucoup trop dangereux de passer cet endroit à la voile”...

La journée est longue, surtout quand la matinée se passe au moteur et que l’après-midi se résume à un bord de plus de 4 heures. On se relaye pour maintenir la barre sur le bon cap. Bien qu’il n’y ait aucun calcul de navigation à faire, le chef de bord ne cesse ses allers-retours pour faire des relevés de positionnement et contrôler que notre cap est bon. En 4h, nous ne le changerons pas, ce fameux cap. Ou plutôt si, une fois, pour éviter une masse rocheuse visible une bonne heure avant que le bateau ne la dépasse. Il faudra s’écarter d’au moins 1 mile pour que Christophe juge notre manœuvre sécurisée. On s'ennuie, le chef de bord a peur de tout. Sans parler de prendre des risques, il est des fois ou trop de sécurité gâche la vie, comme une maman qui surprotège son enfant et l’empêche de se lever pour arpenter le monde.

Une réflexion profonde fuse au cœur de cet après-midi : “je ne pensais pas que faire du bateau puisse être aussi chiant.”

Avant l’arrivée au port, le temps nous offre la liberté d’un exercice vital et qui normalement devrait être fait dès les premières heures de navigation : l’homme à la mer. Tout se passe bien, le seau attaché au pare-battage ne se noie pas et sera récupéré sans encombre. Enfin on s’amuse un peu.

Une fois au port après cette très longue après-midi, Christophe, Olivier et Vincent décident d’aller au bistrot du coin pour boire une bière. Elodie reste dans sa cabine, pour ne pas casser ses habitudes. Une partie de la conversation tourne autour de notre fameuse coéquipière et du fait qu’elle se sente visiblement très mal dans sa peau. Problème d’acceptation physique, d’absence de petit ami… Le chef de bord commente alors avec toute la retenue due à son rang : “Elodie ? De toute façon elle mange comme une vache”. Le skipper… que dis-je, le manager... le chef de bord... l’homme garant de la bonne ambiance à bord se lâche et ses commentaires transpirent d’intelligence et de finesse. Autour de la table du bistrot, personne ne bronche.

La journée se termine dans le carré sur une dispute entre Christophe et Olivier au sujet d’un magazine de voile que le chef de bord ne lit pas et qu’il refuse de prêter. Rappelons qu’Olivier a dépassé la quarantaine et Christophe la cinquantaine ! Finalement, Christophe cède et prête trente minutes (pas une de plus !) son magazine à Olivier qui se dépêche de le lire. Et il a bien raison, car au moment de se coucher, le chef de bord demande à récupérer son magazine, le range dans ses affaires et se couche. Olivier qui ne s’endort jamais avant minuit allume alors sa frontale et s’attaque à un autre magazine en sa possession. Ambiance, camaraderie, fraternité, quand tu nous tiens !

Pour finir cette journée, un détail... mais qui a son importance. Chaque port met des sanitaires à disposition des plaisanciers de passage… à la seule condition d’arriver avant la fermeture de la capitainerie pour pouvoir récupérer le code d’accès des lieux. Le Chini est arrivé trop tard ce soir là, donc pas de douches ni de toilettes. Nous finirons pas avoir ce code d'accès le lendemain matin. Un autre bateau de l’association a dormi à quelques pontons de nous et avait le code. Pourtant, ils sont arrivés après nous au port. Mais comment ont-ils fait ? Très simple, ils ont appelé avant la fermeture de la capitainerie. Dommage que notre chef de bord n’y ait pas pensé. Au moins, maintenant, chacun sait que c’est faisable.

 

5ème nuit : du 22/10/14 au 23/10/14, port de Pléneuf-Val-André.

 

Tout le monde ronfle mais grâce à son arme secrète, Vincent s’évade de cette atmosphère oppressante. Avant que le sommeil ne l’emporte, il compte les heures qui le séparent de la libération. Le plaisir n’est pas au rendez-vous. Il savait que l’expérience ne serait pas simple mais donner sans satisfaction en retour est un acte de pure perte. Reste une journée de navigation… une journée pour prendre du plaisir, pour ne pas quitter ce stage totalement dégoûté par la voile. Les idées se bousculent, les réflexions s’enchaînent, pour finir sur une note très simple : il serait dommage de briser une passion naissante et si pleine de promesses à cause de quelques êtres incapables de s'effacer un minimum pour le bien de tout un groupe. Vincent s’endort sur un sourire. Il pense aux notes de son carnet et s’imagine déjà exorciser cette semaine en la couchant sur le papier. Il se dit même que quelques lecteurs pourraient s’amuser de ces déboires...

 

A suivre...

 

 

 



10/11/2014
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