LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Kevin et Louis : conflit de générations

 

 

  • A part jouer avec ta console et mater des vidéos sur internet, tu as fait quoi de ta journée ?

  • J’ai fumé quelques joints pour me déstresser…

Kevin venait de répondre naturellement, sans aucune provocation. Incapable de se rendre compte de sa déchéance, il vivait aux crochets de Louis sans aucune gène.

  • Tu te rends compte que j’ai travaillé toute la journée pour… et puis laisse tomber, je suis trop fatigué et tu n’écoutes jamais rien de toute façon…

Louis s’effondra dans le canapé, fixa le regard sur l’écran de télévision et imagina le cerveau de Kevin totalement vidé par les rafales de mitraillettes déclenchées via sa manette de jeu. Sur la table du salon, dans un cendrier, quelques mégots. Des cigarettes artisanales qui avaient laissé dans la pièce une odeur verdâtre.

Un moment, Louis ferma les yeux. La fatigue lui prit une nouvelle fois 5 minutes de son temps. Quelques secondes libres, perdues entre le travail, les transports en commun, les tâches ménagères et l’indispensable sommeil réparateur. Comme beaucoup de familles modernes, Louis et Kevin vivaient sans femme.

  • Tu penses te mettre au travail un jour ? lança Louis.

  • Il n’y a pas de travail, tu n’écoutes jamais les infos ?

  • Non, pas le temps.. parce que tu les écoutes, toi ?

  • J’écoute ce qui m’intéresse…

Louis ferma les yeux quelques secondes de plus.

  • J’ai besoin d’un nouveau tatouage, annonça Kevin.

  • Tu as besoin ? Comment ça ?

  • Bin… il m’en faut un, quoi !

  • J’ai pas les moyens en ce moment, il faudra en reparler dans quelques mois.

  • Et si je travaille pour me le payer ?

Louis tourna la tête vers Kevin et fronça les sourcils.

  • Tu ne trouves pas de travail pour m’aider à payer le loyer mais tu vas en trouver pour te payer un tatouage ?

Sans être gêné le moins du monde, Kevin répondit, sans lâcher son écran :

  • Je peux au moins essayer…

  • C’est ça, essaye… lâcha Louis, dépité.

L’homme, épuisé par sa journée de travail, se leva pour préparer le repas (une assiette de pâtes avec du beurre). Il servit sur le canapé un Kevin toujours incapable de quitter sa télé des yeux. D’un geste ferme il arracha le croûton d’une baguette fraîche qui allait devoir les nourrir plusieurs jours. Le pain, dernier luxe… tendre les premières 24 heures, coriace les 24h suivantes, et brûlé au grille-pain les 24 dernières.

Louis s’écroula de fatigue sur son assiette, se leva sans la finir et se dirigea vers sa chambre. Dans l’encadrure de la porte, il se retourna vers Kevin :

  • Donc demain tu te mets à chercher du travail ?

  • Tu es d’accord, je peux avoir un nouveau tatouage ?

Louis ne répondit pas, souffla, et termina sa longue journée par quelques pas qui le menèrent jusque son lit. Il s’y endormit en quelques secondes.

Tard dans la nuit, Kevin se leva difficilement du canapé pour se diriger vers sa chambre. Impossible de dormir sur sa banquette préférée, au risque d’être réveillé par son fils très tôt demain matin.

 

En 2036, il y a 4 ans, le gouvernement avait coupé toutes les aides pour les personnes en âge de travailler. Plus de loyers modérés, plus d’indemnisations chômage. Kevin avait alors été incapable de se soumettre aux horaires, aux contraintes, aux performance exigées par un patron. A 46 ans, il n’avait jamais travaillé de sa vie et avait toujours vécu des aides de l’état. Une seule solution pour continuer à vivre tranquille : son fils Louis, alors âgé de 17 ans, avait quitté l’école sans attendre de diplôme pour aller gagner le pain de la famille.



09/07/2015
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