LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Howahkan (acte 1, part 5)

 

 

Howahkan avait eu du mal à rejoindre son trou dans la montagne après le massacre de la famille Side. Le corps de Glen pourrissait un peu plus chaque heure. Les larves de différents insectes s’amusaient dans les chairs. Les articulations rouillées devenaient difficiles à mouvoir.

Caché dans son trou, Howahkan avait senti le soleil se lever et avec lui une déferlante de mauvaises sensations. Un air chaud. De la lumière aveuglante. Des oiseaux manifestant leur joie en musique. Toute une faune ravie que le printemps disperse sur le monde ses forces vitales. Patiemment, l’esprit avait laissé les instants s’écouler. Il était une machine capable de mille vertus insoutenables quand il faut supporter le poids d’une enveloppe corporelle sur le dos. Après un siècle passé seul dans une grotte sans vie, Howahkan avait dépassé le stade de la conscience. Omnipotent : il était ce qui l’entourait. Il ne faisait qu’un avec son univers proche. Il dictait ses ordres au monde inanimé, à l’immobile sans âme.

La journée se passa lentement, sans impatience.

Le soleil enfin loin de la vallée, Howahkan sortit de sa cachette et se dirigea vers le village. Chacun de ses pas était plus difficile que le précédent. Le corps de Glen ne devait plus résister très longtemps à ce rythme de décomposition. Les insectes étaient trop nombreux à s’attaquer aux chairs pour que la force de l’esprit toujours en quête d’expérience puisse les éloigner tous.

La nature n’avait pas prévue qu’un homme mort continuerait de marcher deux jours après l’arrêt de ses fonctions vitales.

Le village était silencieux. Tous les habitants étaient couchés et dormaient du sommeil du coupable enfin arrêté. Déambulant dans les rues, Howahkan ne cherchait pas à être discret. Au contraire, il aimerait bien qu’un vivant voit le corps de ce sauveteur connu de tous déambuler ainsi en pleine nuit. Soudain, un bruit s'infiltra dans l’esprit d’Howahkan. Ses pas changèrent de direction et se dirigèrent vers une porte qui venait de s’ouvrir. Avançant calmement, l’esprit fit s’arrêter le corps de Glen une dizaine de mètres derrière un homme debout, occupé à uriner dans la fraîcheur de la nuit. Une fois sa braguette remontée, celui-ci se retourna et lâcha un cri rempli de terreur. Son visage blanchit et tout son corps resta figé comme un piquet. Howahkan se rapprocha puis s’arrêta à un mètre de sa proie. La bouche en lambeaux de Glen s’ouvrit et un souffle noir quitta lentement le corps en décomposition pour s’infiltrer dans les yeux du malheureux. La respiration du pauvre homme fut coupée instantanément. Tous ses muscles se transformèrent en pierre et sa peau s’envola comme de la poussière.

Pendant quelques secondes, l’homme au besoin pressant sentit son cœur battre alors que son corps n'était plus. Ses muscles de pierre étaient apparents. Ses deux ventricules se battaient pour propulser le sang dans la roche. Enfin, ses artères explosèrent sous la pression et sa conscience s’éteignit lentement dans une incompréhension totale. Le corps de Glen s’avança et poussa la statue qui bascula et se brisa sur le sol. Ce bruit soudain fit s’allumer une lumière dans la maison d’où était sorti l’homme. Howahkan n’y prêta pas attention et fit avancer à pas lents sa marionnette en direction de la rue toute proche.

 

*

 

*        *

 

Comme l’avait demandé François plus tôt dans la journée, Georges et Luc étaient de surveillance dans les rues du village lorsqu’un bruit de roche brisée se fraya un chemin dans le silence de la nuit. Chacun regarda l’autre avec inquiétude. Georges, pour vérifier que Luc n’avait rien et était toujours à ses côtés. Luc, pour être certain que George n’allait pas se mettre à courir vers le bruit en le laissant seul sur place. Bien qu’il lui était difficile de croire au retour de l’esprit d’un homme mort il y a cent ans, le jeune veilleur ne pouvait nier que quelque chose de grave se passait dans le village. La famille Side avait succombé. Qu’il s’agisse d’un esprit ou d’un homme… le coupable était terrifiant.

- Il faut aller voir, ordonna Georges au jeune homme. Suis-moi !

Quelques secondes plus tard, leur recherche fut facilitée par des cris déchirant le noir. Rapidement sur place, Georges et Luc découvrirent une femme en robe de chambre tenant dans ses mains la tête pétrifiée d’un homme. Elle leva les yeux en direction de Georges et Luc, puis souleva en leur direction une roche presque trop lourde pour ses mains tremblantes.

- Qu’ont-ils fait à mon mari, cria-t-elle ? Qu’ont-ils fait à mon mari, cria-t-elle de plus belle ?

Georges s’avança lentement. Son souffle était court. Ses pas hésitants. Arrivé dans la lumière, il dévisagea la femme. Il la connaissait pour la croiser régulièrement dans le village. Il baissa les yeux et découvrit dans ses mains une pierre fissurée semblable à une tête humaine. Son étonnement ne dura qu’une demi-seconde. L’horreur et le dégoût prirent rapidement possession de son esprit. Posant une main sur sa bouche, son regard se détourna de ce visage connu dans le but de reprendre ses esprits. Mais baissant les yeux, il découvrit les restes pétrifiés d’un corps. Le torse était maculé de sang. Le liquide rouge ruisselant sur la roche à la recherche du sol pour s’infiltrer.

Georges se retourna et s’éloigna de quelques pas pour prendre une longue inspiration d’air frais. Il vit Luc qui, derrière lui, n’avait pas bougé d’un centimètre depuis leur arrivée. Les mains pendantes et la bouche ouverte, le liquide coulant de ses yeux prouvait qu’il avait compris ce qui venait de se passer.

- Qu’ont-ils fait à mon mari, hurla de plus belle la femme ? Qu’ont-ils fait à mon mari ?

Georges rassembla son courage et prit la femme dans ses bras. Cela ne fit pas cesser ses cris. Les tympans du veilleur souffraient de devoir acheminer cette plainte vigoureuse vers un cerveau qu’il s'efforçait de garder sain.

Tous ces cris avaient alerté les alentours. Bientôt des voisins firent leur apparition mais, impressionnés par la force des plaintes, restèrent à bonne distance. Enfin, Mr Grolet apparut. En homme pragmatique qu’il était, il questionna immédiatement sans prendre le temps de constater la scène.

- Que s’est-il passé ici, demanda le maire ?

- Le mari de cette femme vient de se faire assassiner, lâcha Georges. Occupez-vous d’elle, dit-il en poussant la femme de ses bras vers ceux du plus haut dignitaire du village. Nous devons partir immédiatement à la recherche du coupable.

Mr Grolet n’eut pas le temps de répondre que Georges prenait Luc par le bras pour l'emmener vers la rue voisine. Après quelques pas rapides, ils aperçurent au fond d’une rue parallèle un homme marchant difficilement. Sa démarche était comme saccadée. Une raideur rendait chaque mouvement laborieux. Georges et Luc se rapprochèrent à vive allure et interpellèrent le marcheur. Celui-ci finit par se retourner. Les veilleurs stoppèrent leur course à quelques mètres de cet homme qu’ils semblaient connaître... mais qu’ils ne reconnaissaient plus.

Tout le monde dans le village connaissait Glen, le jeune sauveteur. Il était là, debout. Vraisemblablement mort... mais droit comme un i face aux deux veilleurs.

 

A suivre...

 

 

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21/04/2014
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