LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Howahkan (acte 1) - version intégrale

 

L'aventure du col des chamans continue...

 

Le cerveau de Glen était paralysé par la terreur. Ses jambes ne répondaient qu’au besoin vital de fuir le massacre. Son cœur avait perdu toute régularité et vibrait d’une succession de soubresauts dignes d’un animal mourant cherchant à échapper à la volonté de son chasseur. Les pas s'enchaînaient sans aucun sens. Souvent il trébuchait et se cognait le torse et la tête contre le sol caillouteux. Ses bras n’avaient plus le réflexe de se déployer en avant pour le protéger. Ces échecs répétés et douloureux ne faisaient qu’accentuer son abrutissement. Ignorant la douleur, ses jambes reprenaient leur course. Glen pouvait être suivi à la trace. Son sang décorait à intervalles réguliers le chemin fuyant le col des Chamans.

L’air commença à se faire rare dans les poumons de Glen. Son corps ne put bientôt plus suivre la folie de sa volonté. Mètre après mètre, il s'asphyxiait. Sa tête se mit à tourner faisant osciller les montagnes dans ses yeux. D’un coup, ses jambes le laissèrent tomber sur le sol sans qu’aucun obstacle n’ait facilité la chute. Un ultime effort le fit se relever pour s’écraser une nouvelle fois quelques mètres plus loin. Le visage rouge de l’homme à bout de forces, submergé par la peur, laissa place à une figure glacée par la surprise lorsque la machine cardiaque s’arrêta net, immobilisant toute la mécanique humaine. Glen s’écroula. Le souffle coupé. Le cœur à l’arrêt. Sa conscience se résigna en quelques secondes et sut apprécier la mort comme une libération.

En cette journée estivale, Glen venait de mourir sur le chemin du col des Chamans. A quelques mètres de lui, en contrebas, le corps de Marie était toujours étendu sur le sol. Nu. Les extrémités de ses membres arborant un bleu glacial. La puanteur d’un corps en décomposition se répandait dans l’atmosphère d’habitude si saine de la nature montagneuse. Vincent et Benjamin étaient unis pour la vie dans une grotte maudite. Marty séchait au soleil de printemps, assassiné par le secouriste qu’il était censé former... un ami.

Mais l’esprit du dernier des chamans n’était pas satisfait. Tout le village devait souffrir. Cinq morts ne suffisaient pas à étancher sa soif de vengeance. Il était chaman ! Le dernier. Tous ses semblables avaient péri dans d'atroces souffrances à cause de la peur irrationnelle d’un pouvoir méconnu. Il en était persuadé. Jamais un chaman n’aurait pu vouloir la destruction du village de la vallée par simple orgueil ou désir de pouvoir. La maladie qui avait décimé la majeure partie de la population n’était qu’un phénomène naturel malheureux. Les chamans avaient été de parfaits boucs émissaires. La vengeance devait se poursuivre sans limite. Une fois chacun des chamans vengés, il s’occuperait de faire cesser les larmes de sa mère. Cette femme avait vu fuir son fils face à des hordes d’humains trop bêtes pour comprendre qu’un enfant n’est pas responsable des actes de son père. Il entendait constamment les larmes maternelles couler sur les parois de son esprit en colère. La tolérance n’avait jamais eu cours dans cette vallée. Ces montagnes avaient encore la pensée archaïque de l’animal fier d’avoir dompté un outil capable d’ouvrir efficacement la boite crânienne d’un semblable. La différence faisait peur. La bêtise, le manque d’intelligence et de curiosité avaient conduit des dizaines d’hommes à la mort. Le bourreau aiguisant son tranchant n’était souvent qu’une brute épaisse sans aucune capacité d’introspection ou de remise en question. Il est plus facile et rapide d’éliminer les différences plutôt que des les intégrer au point d’en faire des atouts.

 

Il faut que cet homme bouge. Je ne veux pas disparaître à nouveau et refaire tout ce parcours dans les limbes du monde des morts. Je dois simuler son cœur. Ses poumons doivent être remplacés par ma pensée. Ses jambes doivent me porter vers le village. Vers cet endroit où je pourrais errer sans aucune limite, à la recherche de la vengeance parfaite. A la recherche d’une mort parfaite ! La victime idéale. Le lieu, le moment. Et la méthode. Il faut faire souffrir mais sans sadisme. Il faut faire jaillir les cris mais sans que cette musique ne sonne comme une symphonie. Le sang doit toujours être repoussant même si son odeur et sa chaleur rassurent dans les méandres d’un village peuplé de peureux ignares, de meurtriers ! La clarté doit s’effacer. Elle m’affaiblit. Je compte sur la nuit pour qu’elle m’offre la force dont j’ai bénéficié dans cette caverne maudite.

 

Le soleil commençait à s’enfoncer derrière les montagnes. Le corps de Glen était étendu sur le sol depuis de nombreuses heures lorsque les phalanges de sa main droite firent mine d’attraper le dernier souffle de chaleur s’échappant de sa peau vers l’air ambiant. Les doigts retombèrent presque aussitôt. Un soubresaut. Un restant d’électricité dans un amas de chairs déjà pourrissantes. Puis tous les doigts se resserrèrent et un poing frappa le sol plusieurs fois de suite sans aucune retenue. Cherchant un soutien, les doigts fouillèrent jusqu’à attraper un rocher. Tout le bras se contracta pour approcher le corps de Glen de cet appui naturel. Le bras gauche fut alors jeté. Comme une poupée désarticulée qu’un marionnettiste amateur tentait d’animer avec vitalité, le corps du sauveteur se retrouva à genoux. Puis, dans un ultime effort, se hissa sur ses deux jambes. La tête toujours pendante. Les yeux ouverts sur des pupilles fixes. Le corps froid et blanc de Glen se tenait debout. Ses poumons ne fonctionnaient pas. Son cœur était à l’arrêt. Ses pieds gonflèrent du sang qui, par force de gravité, tomba dans le fond de ce sac d’homme. La masse se pencha en avant, sembla tomber avant qu’un pied ne s’avança pour contrer la chute. Puis les mouvements s'enchaînèrent imitant la marche. La nature alentour ne pouvait rester indifférente face à cette créature déambulant sans aucune gêne, défiant la multitude des règles complexes qui, depuis l'apparition de la vie, régissaient l’ordre des choses.

Glen était mort, mais son corps se tenait debout. Il avançait.

Le ciel sans nuage offrait à toute la faune nocturne le loisir d’observer cette victoire de l’esprit sur la vie.

Le refuge des Gautiers en vue, le corps de Glen s’écarta du chemin et passa entre la lune et le bâtiment. Les propriétaires sauvèrent leurs raisons, protégés par le sommeil. Le patou gardant le territoire sentit une présence et leva la tête. Il grogna voyant au loin cet homme traverser ses terres sans aucune discrétion. Se dirigeant vers l’intrus, ses pattes le laissèrent choir tel un lapin fauché en pleine course par un tir de chasseur. Gémissant de détresse, il retourna en reculant vers le refuge des Gautiers et se cacha dans l’endroit le plus noir et difficile d’accès qu’il trouva.

Sans aucune inquiétude, le corps de Glen continua sa descente vers le village. Plus les heures passaient, plus les mouvements étaient sûrs. Au milieu de la nuit, le menton réussit à se redresser. Marchant tête haute, l’esprit du dernier des chamans venait de franchir une nouvelle étape dans sa maîtrise spirituelle des éléments physiques. Il ordonna à ce corps et à sa main droite de se baisser pour saisir une pierre pointue. D’un coup sec, il la planta dans l’œil droit du corps de Glen. Il ne résista pas et éclata comme un œuf. L’œil gauche subit le même sort. La lumière captée par ces deux récepteurs d’onde n’avait aucune utilité pour un esprit omnipotent. La peur que pouvait insuffler un homme debout avec des trous noirs à la place des yeux était beaucoup plus utile.

L’esprit du dernier des chamans fouilla la mémoire de Glen. Son savoir, ses souvenirs de vacances, ses connaissances en anatomie et en secourisme… plus rien ne pouvait échapper à la curiosité du nouvel habitant de ce corps. Il se nourrit de cette multitude d’informations concernant un monde qu’il avait quitté il y a cent ans et découvrit alors l’existence des empreintes digitales et de l’identification dentaire. Jugeant bon d’entretenir le doute le plus longtemps possible et tenant toujours le caillou pointu souillé de liquide oculaire, la main droite martela la face du corps de Glen. Le nez disparu dans la boite crânienne. Des dents tombèrent quand d’autres s’enfoncèrent dans la mâchoire. La mandibule inférieure fut sortie de son logement et retenue de tomber sur le sol par la peau du crâne qui se tendit. La tête du corps de Glen était méconnaissable. Les yeux vides. Une mâchoire pendante aux dents absentes. Un nez disparut dans la face. L’esprit du dernier des chamans termina son déguisement par des coups répétés sur le bout de chacun des doigts de la marionnette. Elle n’était maintenant plus qu’un moyen de locomotion. La peau commença à se déchiqueter et quelques coups secs déchirèrent définitivement ce qui retenait la dernière phalange de chaque doigt. Le muscle et les tendons à vif ne pouvaient plus laisser la moindre trace identifiable. Le corps de Glen était devenu un outil pourrissant sur pied à la face défoncée et aux doigts mutilés. Cette masse difforme descendait inexorablement vers le village où habitaient les héritiers des tortionnaires qui avaient réduit sa fratrie en cendres.

Le corps de Glen ne fut pas capable de produire un sourire à la vue du village endormi. L’esprit du dernier des chamans arrêta sa machine pour admirer ces habitations peuplées d’humains proches d’une mort certaine. Un léger souffle de vent frais fit bouger les doigts de la marionnette. La lumière du soleil venait de toucher la cime des sommets opposés. La descente du col des chamans avait pris du temps. La vengeance avait besoin de la force et de la discrétion de la nuit. Elle devrait attendre une journée de plus. Après un siècle de patience, une journée supplémentaire caché dans la roche n’était rien.

Le corps de Glen se retira dans une anfractuosité de la montagne. Recroquevillé sur lui-même. L’esprit du dernier des chamans attendait que la nuit projette une nouvelle fois son voile sur les âmes des mortels.

 

*

 

*        *

 

Le vieux François avait contacté tous les membres de la cellule de veille en début d’après-midi pour une réunion urgente. Georges avait accepté de se déplacer sans poser de question. Son acquiescement avait été malgré tout teinté d’inquiétude. Luc avait dans un premier temps refusé ce rendez-vous prétextant un travail important. Le rappel du serment de veilleur le liant à cette organisation l’avait finalement décidé à respecter ses engagements.

Georges fut le premier à se présenter chez François. Il était impatient de connaître la raison de cette convocation inhabituelle. Il avait intégré la cellule de veille à la mort de son père. A maintenant presque 50 ans, il n’avait connu de toute sa vie de veilleur que des réunions annuelles où l’ordre du jour était toujours le même : rien à signaler... tout est calme… à l’année prochaine.

Luc arriva en retard. Sa désinvolture allait de pair avec sa jeunesse. Comme pour tous les membres de la cellule, sa présence était un héritage qu’il tenait de son père.

En cette fin d’après-midi, tous trois étaient silencieusement attablés dans la vieille bâtisse du doyen des veilleurs. Malgré ses 80 ans passés, François se leva solennellement pour faire honneur à son rang. D’abord fier et droit, il baissa finalement le regard vers le sol avant de prononcer sa première phrase :

- Messieurs, vous avez fait le serment de protéger la vallée quoi qu’il vous en coûte. Vous avez accepté d’offrir votre vie si cela devenait nécessaire… si la sécurité de vos proches était menacée... Je pense qu’il est l’heure d'honorer vos engagements.

- Qu’est-ce qu’il raconte le vieux François, demanda Luc avec un large sourire ?

Georges se tourna immédiatement vers ce jeune blanc-bec et le fusilla du regard.

Le silence revenu, François continua sans relever les yeux :

- J’ai maintenant plus de 80 ans. Je pensais mourir sans avoir à affronter ce mal. Ma force physique m’a abandonné. Je ne pourrai être qu’une aide morale dans votre combat.

- On peut avoir des précisions, reprit Luc ? Que signifie tout ce folklore ?

- Comment oses-tu parler de “folklore”, lança Georges avec un ton agressif ? Tu as fait vœu de continuer la veille de ton père lorsqu’il est mort. As-tu fait cette promesse à la légère ?

Luc soupira en balançant la tête de gauche à droite avant de lâcher :

- Je ne comprends pas un traître mot de ce que vous racontez ! Oui j’ai repris le flambeau familial ! Mon père me l’a demandé sur son lit de mort. Mais... votre société secrète n’a aucune signification pour moi. Nous sommes trois dans une vieille maison décrépite ! Nous ne nous sommes réunis qu’une fois pour que je prononce vos phrases rituelles. Je me suis engagé vis-à-vis de la tradition il y a quelques mois... mais quand j’entends les paroles de François, je commence à me dire que j’ai mis les pieds dans un milieu de fous !

Georges se calma face à l’incompréhension du jeune Luc. François leva enfin le regard avant d’écouter son grand âge et de s’asseoir sur son siège.

- Je pense qu’il est sage d’écouter avec attention ce que le chef de la cellule de veille a à nous dire, conseilla Georges tout en se tournant de Luc vers François.

Après une longue inspiration, le vieil homme regarda enfin sa petite équipe dans les yeux.

- Notre ordre a été créé il y a un siècle, suite à la grande purge des chamans. Notre travail est de veiller à ce que les pouvoirs néfastes de ces manipulateurs ne puissent plus s’attaquer à notre village.

- Le pouvoir des chamans, s'excita Luc ? Nous devons veiller contre des attrapes touristes ?

Georges tourna une nouvelle fois son visage vers ce jeune insolent pour le faire taire d’un regard puissant.

- Les chamans ont propagé sur notre village les pires maux, reprit François. Les pires folies qu’un esprit malade puisse imaginer. A force de sacrifices, de convictions… A la suite d’un combat acharné... nos ancêtres ont réussi à débarrasser notre vallée de ces dangereux manipulateurs. Le dernier d’entre eux a été laissé en vie pour rompre le cycle de la violence. Emmuré dans une grotte près de leur lieu de prédilection, il devait s'éteindre en paix, proche de la nature dont il se disait un collaborateur. Au moment de murer la grotte, le visage du dernier des chamans s’illumina et il prit les traits du terrible Howahkan !

En prononçant ce nom, tout le corps de François trembla. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites. Sa gorge s’assécha. Afin de retrouver ses esprits, il se saisit avec difficulté d’un verre d’eau posé devant lui puis fit couler le liquide sain dans sa gorge. Georges resta sans voix, attendant patiemment la suite des explications de François. Mais Luc ne put s'empêcher de ponctuer :

- Howahkan n’est qu’un personnage de conte pour effrayer les enfants !

- Howahkan n’est rien d’autre que le plus puissant des chamans qu’ait connu la vallée, reprit François. Lorsque la grande purge fut décidée, il se cacha dans les montagnes mais finit par se faire capturer. Nos ancêtres voulurent le faire brûler vif près du col mais le bois ne voulut pas prendre. Il fallut s’y reprendre à plusieurs reprises pour démarrer le brasier, aidé d’herbes sèches, d’huile et de poix. Voyant sa fin proche, Howahkan jura que son âme ne trouverait le repos qu’après la destruction de notre village et la mort de tous ses habitants. Il brûla sans un cri, comme si son esprit avait réussi à fuir son corps supplicié.

- Et tu dis que le visage d’Howahkan est apparu sur la face du dernier des chamans quand il fut emmuré, demanda Georges inquiet ?

- Tous les hommes présents ce jour là virent ce maléfice, répondit François sans douter.

- Mais vous n’y étiez pas, reprit Luc ! Comment croire cela ?

- Mon père y était, répondit sèchement François agacé par le scepticisme de Luc.

Un lourd silence plana au-dessus de la petite assemblée.

- Mon grand-père y était aussi, ajouta Georges en direction du jeune veilleur. Et ton arrière-grand-père aussi.

- Ce que je te dis là est la vérité mon garçon, reprit François d’un ton paternaliste. Tu connais les récits des folies collectives qui touchèrent le village il y a un siècle. Je sais que tu ne doutes pas de leur véracité. Ces manipulations mentales étaient issues de la volonté des chamans. Aujourd’hui, cette haine est de retour. Le besoin de vengeance l’accompagne. Sous quelle forme ? Je ne sais pas. Mais tout indique que l’heure d’une nouvelle lutte a sonnée.

- Qu’est-ce qui te fait penser cela, demanda Georges ?

- N’avez-vous pas entendu parler des trois adolescents qui sont morts avant hier près du col ? Les sauveteurs envoyés hier pour leur porter secours n’ont pas été capables de ramener la moindre information. Et pour cause ! Le premier a été retrouvé mort et le second a disparu ! Toutes ces informations viennent du deuxième groupe de sauveteurs envoyé ce matin par hélicoptère. La grotte… la fameuse grotte... a été retrouvée ouverte. Le tremblement de terre d’avant hier a libéré une puissance retenue prisonnière depuis un siècle !

- Es-tu sûr de ce que tu avances, demanda Georges ? N’est-ce pas une coïncidence ?

- Malheureusement… Je ressens encore la terreur que portaient les paroles de mon père quand il me parlait du visage d’Howahkan. Depuis deux jours je ressens ce souffle parcourir chacun de mes os. Aujourd’hui, j’ai levé les yeux vers le col des chamans et j’y ai vu…

François s’arrêta net.

- Qu’as-tu vu, reprit Georges ?

Après une profonde inspiration, les paroles de François reprirent :

- Ce n’était qu’une vision… mais je sais qu’il n’est plus très loin. Il vous faut être vigilant. Soyez sur vos gardes à chaque instant. La lutte va bientôt reprendre. Votre promesse vous met en première ligne.

Georges fixa le regard du doyen en signe d'acquiescement pendant que Luc jetait un coup d’œil rapide vers sa montre.

 

*

 

*        *

 

Howahkan ne pensait pas. Il était esprit sans passé ni futur. Son existence n’était qu’une lente succession d’instants depuis que son corps fait de chair et de sang l’avait expulsé loin des flammes. Ce brasier avait su terminer ce que la sagesse n’avait pu mener à son terme faute de temps. Cette finalisation rapide et forcée avait cristallisé dans son âme toute la haine alentour. Howahkan perdit son corps pour devenir un esprit maléfique. Sautant d’hommes répugnants en carcasses sans valeur, il avait fini par tomber dans le seul contenant encore viable à ses yeux : celui du dernier des chamans. Cet homme fut condamné à une mort lente. Howahkan patienta. Il supprima de ses ressentis toute idée de temps. Le passé et le futur n’étaient plus que deux moments qui fusionnaient régulièrement pour ne laisser à disposition que l’instant : la seule notion temporelle indispensable. Enfin, l’occasion de fuir se présenta. Elle fut saisie sans réflexion. Quitter un tas d’os pour un corps jeune et en pleine forme… La haine se réveilla. Plus forte qu’un sentiment. Plus puissante qu’une simple volonté. Howahkan n’avait traversé le temps, défié la mort et les états que pour déchaîner sa vengeance. Le degré ultime du mal se trouvait maintenant concentré dans un corps mort, blotti dans l’anfractuosité d’une montagne, attendant patiemment que le soleil veuille bien le laisser cheminer vers une revanche réclamée depuis une centaine d’années par les voix éteintes de ses semblables.

Pour fuir le soleil, Howahkan avait tassé son corps au creux de la roche. Se faisant, la pierre avait tailladé profondément ses jambes et ses bras. Ce qu’il restait de sang dans le corps de Glen coula sur le sol jusqu’à l’herbe toute proche. La peau, ainsi débarrassée de ce liquide dispensable, s’était tassée contre les muscles. Toutes les chairs s’étaient rétractées sur les os. Les mouches commençaient à pondre sous la peau. Une odeur de putréfaction emplissait les vents alentour. Gagnant en légèreté et en volume par l’abandon des liquides du corps de Glen, Howahkan put dissimuler correctement son moyen de transport jusqu’à ce que le soleil, par sa disparition, daigne ouvrir la porte aux pulsions d’un esprit libéré des contraintes du corps et du temps.

 

*

 

*        *

 

- Le soleil s’est couché, dit François en regardant par la fenêtre de sa modeste maison.

Georges et Luc étaient tous deux attablés. Le silence était pesant. Le temps paraissait ralenti par l’angoisse émanant de l’attitude du doyen.

Georges réfléchissait. Il pensait à ce qu’était capable de faire un esprit torturé retrouvant ses bourreaux. Il n’avait jamais douté de l’existence des chamans et de leurs pouvoirs mais la théorie du vieux François le laissait perplexe. L’âge avancé du doyen termina de le convaincre qu’il fallait faire confiance à ce vieil ami. S’il se trompait, ce ne serait que du temps perdu. Rien de bien grave.

Luc regardait régulièrement sa montre. Quand on est jeune, le temps a de l’importance. On pense qu’il est urgent de le mettre à profit, même à des fins inutiles ou stupides.

“Pourquoi ce vieux veut que je reste assis ici à attendre qu’un esprit venu d’on ne sait où, guidé par on ne sait quelle volonté, frappe le village ? Si je tenais le premier de mes ancêtres qui a accepté de faire partie de cette secte d’illuminés, je lui demanderais de me rembourser au centuple le temps que je perds actuellement.”

Soupirant une énième fois, Luc arrêta de cogiter et prit la parole :

- Qu’est-ce qu’on attend exactement ?

Georges leva les yeux vers Luc mais ne répondit pas. Les mains dans le dos, François regardait toujours par la fenêtre. Sa main droite serrait fort sa main gauche tremblante. Son corps était le cœur d’une bataille entre la peur et la rationalité.

- Si personne ne me répond, je vais vous quitter et reprendre le cours de ma vie, insista Luc.

Mais il n’eut pas le temps de se lever. François ordonna d’une voix forte :

- Ta mission est d’attendre ici avec nous !

- Attendre quoi, répliqua le jeune insolent ?

- Attendre que la nuit rende son verdict. Il se peut que je me trompe, dans ce cas tu pourras reprendre ta vie là où tu l’avais laissée avant de franchir le pas de cette porte. Mais s’il s’avère que j’ai raison, tu devras penser au bien de la communauté avant d'espérer satisfaire tes désirs.

- Vous voulez que j'attende ici toute la nuit, s’étonna Luc ? Vous n’êtes pas bien ?

- Calme-toi, reprit Georges d’un ton d’apaisement. Tu peux t’allonger et dormir un peu si tu veux. Nos destins sont liés cette nuit. Par tes ancêtres, ta présence parmi nous est indispensable en cette période de doute.

- Période de doute ? Mais notre présence ici est basée sur les ressentis d’un vieil homme !

François se retourna vivement et posa violemment ses deux poings sur la table.

- Connaissais-tu les jumeaux ? Benjamin et Vincent ?

Luc n’eut pas le temps de répondre.

- Connaissais-tu Marie ? Leurs corps ont été découverts atrocement mutilés. Ils ont, avant de mourir, commis les uns sur les autres des actes inhumains. Tout porte à croire qu’ils avaient perdu la raison. Qu’une folie avait pris possession de leurs cerveaux jusqu’à leur dicter de s’entretuer en usant de la sauvagerie la plus ignoble.

Luc déglutit. Il ne sut quoi répondre. François se redressa et reprit sa place face à la fenêtre. Sa voix usée et fatiguée continua de rythmer le silence :

- Je connaissais ces enfants. Je connaissais aussi Marty et Glen. Marty a été assassiné et Glen a disparu. Je suis peut-être vieux... je n’ai peut-être plus toute mes forces... mais je sais reconnaître le mal quand il rode. Il chemine dans ces montagnes depuis deux jours. Cinq personnes ont déjà croisé sa route et notre mission est de faire en sorte que son épopée s’arrête le plus tôt possible. S’il faut veiller toute la nuit, alors nous veillerons toute la nuit. Et… J’ose espérer qu’aucun de vous deux ne pourra fermer les yeux sachant ce qui se trame dehors.

- Tu sais que tu peux me faire confiance, promit Georges à François en regardant Luc dans les yeux.

Perturbé et ne sachant toujours pas quoi répondre, Luc mit de côté son attitude rebelle pour se plier à la volonté de ses partenaires.

- Ok je reste. Mais je sens que l’on va bien s’ennuyer…

- Je l'espère de toute mon âme, reprit François dans un soupir.

 

*

 

*        *

 

Au cœur de la nuit, les vaches d’une étable située à l’écart du village meuglèrent sans raison. Le concert sans harmonie dura moins d’une minute avant que le silence ne reprenne ses droits. Un froid glacial prit soudain possession de la construction en bois figeant sur place les animaux apeurés. Un vent tourbillonnant s’éleva du plancher. Il gonfla, accéléra, jusqu’à occuper tout le bâtiment. Le bruit à l’intérieur de l’étable était insupportable. Les vaches laitières restèrent en place sans lutter. Les pattes coupées par une volonté forte. La gorge et la langue immobilisées par le froid intense. Que peut ressentir un animal quand il sent la mort se balader dans son corps ? Quand il sent le maître de la nuit jouer avec ses sensations ? Quand ses muscles et ses volontés sont annihilés par un pouvoir invisible mais omniprésent ?

Dehors, tout était calme. Le corps de Glen était allongé contre un des murs de l’étable. La tête pendante. La pourriture gagnant du terrain à chaque minute.

Soudain, un flash lumineux s’échappa de l’étable et mourut aussi rapidement qu’il avait surgit. Le vent cessa dans le bâtiment. Le silence d’une nuit normale reprit sa place. Les vaches libérées de l’emprise du mal reprirent leurs activités nocturnes quasi inexistantes.

Mû par une malédiction chamanique, le corps de Glen se leva ce qui fit fuir les mouches occupées à pondre dans ses chairs. A pas lents et maladroits, il s’en fut vers la montagne retrouver l’anfractuosité qui avait été son antre la journée précédente. Se calant dans la roche, Howahkan ne pensa pas aux graines de vengeance qu’il venait de semer. Il ne pensa pas au futur plan qu’il faudrait mettre en place et exécuter la nuit prochaine pour continuer son œuvre. Comme éteint par l’inutilité du moment présent et l’arrivée imminente du soleil, le plus puissant esprit des chamans laissa le corps de Glen se fixer à la roche dans un relâchement général.

Dehors, le soleil commençait à peine à se lever quand un fermier quitta sa demeure pour aller traire ses vaches. L’homme se devait d’être matinal, sa femme et son jeune fils attendaient le lait de la première traite du matin pour déguster leur petit-déjeuner.

 

*

 

*        *

 

La mort ne rode pas. Elle ne se dissimule pas dans les interstices pour frapper sournoisement le vivant qui ne s’y attend pas. Sa volonté n’est pas la destruction. Elle déteste la souffrance. Ne la qualifiez pas de sadique ni d’égoïste ! Elle est partout et en tout temps. Elle ne cherche pas sa proie. Le mortel connaît son destin depuis son plus jeune âge. Il battit sa vie pour fuir au mieux ce jour où l’ultime puissance du monde l’englobera de ses deux bras. Une fois la chaleur touchée, tout mortel se laisse fondre dans la délectation de l’oubli. Les souffrances disparaissent. Les obligations, les compromis, le poids de la vie… tout s'efface pour faire naître la véritable liberté. La libération est souvent brutale mais toujours rassurante pour celui qui a bien compris le sens de la vie. Fuir est naturel. Accepter est courageux. Accepter est une preuve de conscience, le symbole d’une vie de sagesse et de raison. Chaque homme se doit d’être fier quand son corps s’éteint au profit d’un nouveau destin loin des malheurs du monde terrestre.

Le fermier regardait d’un œil serein sa femme et son fils. Un feu diffusait une chaleur boisée dans la pièce fraîchement réveillée. Le lait tiré le matin même régalait chacun des membres de la famille. Personne n’avait fait attention qu’à cette table était venu s'asseoir un invité surprise. Son visage flottait dans les mouvements d’air chaud. Patiemment, il regardait un à un les trois membres de cette famille dégustant leur petit-déjeuner. Le liquide blanc, ensorcelé la nuit précédente, coulait dans les gorges jusqu’aux plus profondes entrailles. Il diffusait dans les muqueuses, dans la peau, dans le sang, dans chacune des cellules du corps un compte à rebours mortel. Des paroles banales s’échangeaient entre les différents protagonistes. L’organisation de la journée fut mise sur la table. Les tâches furent réparties. Un à un, ils finirent leur bol de lait, leur quignon de pain et se levèrent en vue de s’acquitter des travaux afférents à chacun. Au bout de la table, la fumée du foyer s’agglomérait et prenait petit à petit forme humaine. Personne n’y prêta attention. Ce n’est que face à la porte de la pièce inexorablement close malgré les efforts du père qu’un trouble s’empara de la famille. Des sourires d’étonnement furent échangés jusqu’à ce que le fils de la famille n’aperçoive un invité assis confortablement au bout de la table familiale. Alerté, le père contempla l’amas fumeux et tomba à genoux. Sa femme en fit de même. Le fils ne comprit pas. Regardant ses parents, il commença par s'interroger avant de se cacher derrière sa mère, submergé par la peur.

- Restez calme, ordonna le père.

- Qu’est-ce que c’est, demanda le fils ?

Le père ne répondit pas. Il prit la main de sa femme et regarda tendrement son fils. Après un bref instant de communion familiale, les parents baissèrent ensemble la tête en signe de soumission. Ne sachant pas comment réagir, le fils les imita. Les yeux mouillés, le père prit la parole en direction de l’entité fumante.

- Puissant Howahkan, j’implore ta compassion ! Ma famille et moi n’avons jamais fait de mal à personne. Nous vivons en harmonie avec les hommes et la nature. Je t’en prie, épargne-nous.

Le silence fut la seule réponse portée par l’atmosphère ambiante. Le fils tomba le premier. Sans un cri. Sans un pleur. Son corps heurta le dos de sa mère sans bruit avant de rouler sur le sol. Le père lança un regard empli de chagrin et d’impuissance vers sa femme. Elle n’eut pas le temps de lui rendre cette dernière tendresse. Son buste tomba en avant faisant cogner sa tête contre la solide table en bois du salon. Ne lâchant pas la main de son épouse, le père fusilla du regard la forme ondulante au bout de la pièce. Il tenta de se lever d’un bond pour attaquer mais fut coupé net dans son élan et s’écroula à son tour.

Caché au fond de son trou, le corps de Glen fut secoué de trois soubresauts. Sa tête remua un peu laissant ses deux yeux noirs rencontrer un bref rai de lumière. Aveuglé par cette fugace marque d’espoir, le corps de Glen se retourna d’un coup en arrachant sa peau contre la roche de la petite tanière. Des lambeaux en décomposition pendaient de son corps laissant croire que ses vêtements étaient déchirés.

Howahkan recouvrait sa force mais avait encore besoin d’expérience pour être en pleine possession de ses moyens. La nuit qui venait de s’écouler avait été riche. La suivante se promettait d’être longue.

 

*

 

*        *

 

- François, as-tu entendu la nouvelle ?

Georges tambourinait à la porte du doyen de la cellule de veille. Sans réponse, il s‘alarma et fit le tour de la petite bâtisse. Frappant à chaque volet fermé, il cria plusieurs fois le nom de celui qu’il cherchait.

- Qui est là, répliqua soudain une voix venue de l’intérieur ?

- François, c’est toi ? Ouvre-moi, c’est urgent !

- Georges ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi te mets-tu dans des états pareils ?

Georges se planta devant son vieil ami et le regarda dans les yeux :

- J’ai bien peur que tu ais raison…

- Rentre vite, ordonna François comprenant l’intensité de l’inquiétude de son ami.

La porte fut rapidement refermée à double tour et chacun prit une chaise pour s’attabler l’un en face de l’autre.

- Je t’écoute, soupira François.

- Les Side viennent d’être découverts… morts dans leur ferme…

- Toute la famille ? Tous les trois ?

- Oui…

François ferma les yeux et plaça ses mains sur son visage.

- J’aurais tant voulu me tromper... Qu’est-ce qui les a tués ?

- Je n’ai pas vu les lieux mais la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. La femme aurait reçu un coup sur la tête. Par contre aucune trace sur les deux autres corps. Ils sont comme morts… de rien.

- Les corps ont été retrouvés ensemble ?

- Oui, tournés vers la cheminée de la pièce. Leurs esprits semblent avoir quittés leurs corps en un éclair. Il n’y a aucune marque de souffrance ou de peur sur leurs visages.

- Si la souffrance a pu être évitée, c’est une bonne chose. Je suppose que personne n’a rien vu, rien entendu, et qu’il n’y a aucun indice sur les lieux ?

- Les corps ont été découverts il y quelques heures. Le maire et le médecin sont sur les lieux. Ils livrent des informations mais elles ne sont pas encore très précises.

François et Georges restèrent de longues minutes dans le silence le plus total. Leurs regards se croisaient de temps en temps, avant de s’enfuir à nouveau pour courir sur les murs sans intérêts de la pièce.

Soudain, le calme fut coupé par trois coups nets contre la porte d’entrée. François se leva et après s’être assuré de l’identité des visiteurs, ouvrit la porte au maire et au médecin du village.

- Je suppose que vous êtes au courant de la nouvelle, lança Mr Grolet ?

François répondit d’un hochement de tête et s’écarta pour laisser entrer ces deux personnes. Elles prirent place aux côtés de Georges qui se leva pour les accueillir.

- Je laisse le Dr Desmet vous exposer ce qu’il a constaté chez les Side.

- Cela va être rapide, reprit le Docteur. Je n’ai rien constaté du tout ! La femme a une marque de coup sur le front mais qui résulte sûrement de sa chute contre la table en bois massif située devant elle. Cette chute est sûrement consécutive à sa mort. Je ne pense pas que ce choc l’ait tué. Les deux autres corps ne présentent aucune trace de coup ni de blessure.

- Pourquoi nous dire cela, interrompit Georges ?

Prenant un air grave, le maire du village se tourna vers Georges et lui planta son regard dans les yeux.

- Les quelques personnes qui connaissent l’existence de votre cellule de veille la considèrent comme du folklore. La majeur partie de la population ne sait même pas qu’elle existe ! Mais ici et maintenant, nous parlons entre adultes conscients du danger qui règne autour de nous depuis une centaine d’années. Les chamans vivants étaient un danger mais il était plutôt aisé de composer avec eux. Négocier avec un chaman mort l’est beaucoup moins ! C’est le moment de prouver qu’il a été utile de garder votre cellule de veille active pendant tout ce temps.

François se leva et marcha à petits pas autour de la table. La réflexion se voyait sur son visage. Soudain il s’arrêta et prit la parole :

- Je vais vous demander de partir Messieurs. Je n’admets pas que vous veniez vous moquer de nous ainsi !

D’un bond, le maire se leva et de sa grosse voix d’orateur interpella François et Georges.

- Pour qui vous prenez-vous pour refuser de venir en aide à votre village quand celui-ci est attaqué par un esprit venu d’on ne sait où ?

- Gardez votre calme, reprit François. Les esprits n’existent pas. Jamais un chaman ne pourrait renaître cent ans après sa mort. Il faut que vous repreniez vos esprits. C’est un assassin en chair et en os derrière qui vous devez courir. Faire tourner les tables ne vous servirait à rien.

Le Dr Desmet et le maire Grolet se regardèrent sans comprendre la réaction de l’homme en face d’eux.

- Je vous souhaite bonne chance, termina François en désignant du doigt la porte de sa maison.

Une fois seuls, Georges interpella François en quête d’explication suite à cette attitude face aux dignitaires du village venus chercher de l’aide.

- Je suis le doyen et donc le chef de cette cellule de veille depuis des dizaines d’années. Je suis le mieux placé pour savoir qu’Howahkan peut refaire surface parmi nous. Je doute que les Side aient été tués par quelque chose de naturel. Ces deux hommes sûr d’eux n’auraient fait que nous gêner dans nos investigations. Il est impossible de découvrir une vérité sans douter.

- Que proposes-tu ?

- Eux vont chasser un meurtrier fait de chair.

- Et nous ?

François réfléchissait.

- Se déplacer pour examiner les corps est de toute façon sans intérêt. Nous ne sommes pas en chasse d’un meurtrier conventionnel. Il n’aura pas laissé de trace ni d’indice. Nous n’avons pas d’autre choix que d’attendre qu’il recommence pour pouvoir jauger sa force et comprendre son mode opératoire.

- Et quand nous aurons des réponses à ces questions, que ferons-nous ?

- Nous pourrons anticiper. Si je me retrouve face à lui, je saurai le maîtriser !

Georges demeurait sceptique suite à cette déclaration de François. Comment ce vieil homme, avec tout le respect dû à son âge, pouvait prétendre maîtriser un esprit revenu du royaume des morts ? Howahkan avait su être plus fort que tout ce qui existe. Il avait surpassé les volontés naturelles. Le vieux François ne tient presque plus sur ses jambes…

- Tu as une arme secrète, rigola Georges pour dissimuler sa curiosité ?

- Non, répondit François en souriant.

Le doyen laissa s’imposer un silence et réorienta la conversation.

- Va trouver Luc. Explique lui. Je veux que tous les deux vous soyez sur vos gardes la nuit prochaine. S’il s’agit vraiment d’Howahkan, il frappera à nouveau. Sachant d’où il revient, je doute qu’il puisse tolérer la lumière du jour. La nuit est son allié. Et les ambiances nocturnes sont beaucoup plus propices à la réalisation de sa vengeance.

Sans hésiter, Georges acquiesça et quitta la bâtisse à la recherche de Luc. Une fois seul, François ne put refréner un sourire nerveux teinté d’angoisse… et d’impatience.

 

*

 

*        *

 

Howahkan avait eu du mal à rejoindre son trou dans la montagne après le massacre de la famille Side. Le corps de Glen pourrissait un peu plus chaque heure. Les larves de différents insectes s’amusaient dans les chairs. Les articulations rouillées devenaient difficiles à mouvoir.

Caché dans son trou, Howahkan avait senti le soleil se lever et avec lui une déferlante de mauvaises sensations. Un air chaud. De la lumière aveuglante. Des oiseaux manifestant leur joie en musique. Toute une faune ravie que le printemps disperse sur le monde ses forces vitales. Patiemment, l’esprit avait laissé les instants s’écouler. Il était une machine capable de mille vertus insoutenables quand il faut supporter le poids d’une enveloppe corporelle sur le dos. Après un siècle passé seul dans une grotte sans vie, Howahkan avait dépassé le stade de la conscience. Omnipotent : il était ce qui l’entourait. Il ne faisait qu’un avec son univers proche. Il dictait ses ordres au monde inanimé, à l’immobile sans âme.

La journée se passa lentement, sans impatience.

Le soleil enfin loin de la vallée, Howahkan sortit de sa cachette et se dirigea vers le village. Chacun de ses pas était plus difficile que le précédent. Le corps de Glen ne devait plus résister très longtemps à ce rythme de décomposition. Les insectes étaient trop nombreux à s’attaquer aux chairs pour que la force de l’esprit toujours en quête d’expérience puisse les éloigner tous.

La nature n’avait pas prévue qu’un homme mort continuerait de marcher deux jours après l’arrêt de ses fonctions vitales.

Le village était silencieux. Tous les habitants étaient couchés et dormaient du sommeil du coupable enfin arrêté. Déambulant dans les rues, Howahkan ne cherchait pas à être discret. Au contraire, il aimerait bien qu’un vivant voit le corps de ce sauveteur connu de tous déambuler ainsi en pleine nuit. Soudain, un bruit s'infiltra dans l’esprit d’Howahkan. Ses pas changèrent de direction et se dirigèrent vers une porte qui venait de s’ouvrir. Avançant calmement, l’esprit fit s’arrêter le corps de Glen une dizaine de mètres derrière un homme debout, occupé à uriner dans la fraîcheur de la nuit. Une fois sa braguette remontée, celui-ci se retourna et lâcha un cri rempli de terreur. Son visage blanchit et tout son corps resta figé comme un piquet. Howahkan se rapprocha puis s’arrêta à un mètre de sa proie. La bouche en lambeaux de Glen s’ouvrit et un souffle noir quitta lentement le corps en décomposition pour s’infiltrer dans les yeux du malheureux. La respiration du pauvre homme fut coupée instantanément. Tous ses muscles se transformèrent en pierre et sa peau s’envola comme de la poussière.

Pendant quelques secondes, l’homme au besoin pressant sentit son cœur battre alors que son corps n'était plus. Ses muscles de pierre étaient apparents. Ses deux ventricules se battaient pour propulser le sang dans la roche. Enfin, ses artères explosèrent sous la pression et sa conscience s’éteignit lentement dans une incompréhension totale. Le corps de Glen s’avança et poussa la statue qui bascula et se brisa sur le sol. Ce bruit soudain fit s’allumer une lumière dans la maison d’où était sorti l’homme. Howahkan n’y prêta pas attention et fit avancer à pas lents sa marionnette en direction de la rue toute proche.

 

*

 

*        *

 

Comme l’avait demandé François plus tôt dans la journée, Georges et Luc étaient de surveillance dans les rues du village lorsqu’un bruit de roche brisée se fraya un chemin dans le silence de la nuit. Chacun regarda l’autre avec inquiétude. Georges, pour vérifier que Luc n’avait rien et était toujours à ses côtés. Luc, pour être certain que George n’allait pas se mettre à courir vers le bruit en le laissant seul sur place. Bien qu’il lui était difficile de croire au retour de l’esprit d’un homme mort il y a cent ans, le jeune veilleur ne pouvait nier que quelque chose de grave se passait dans le village. La famille Side avait succombé. Qu’il s’agisse d’un esprit ou d’un homme… le coupable était terrifiant.

- Il faut aller voir, ordonna Georges au jeune homme. Suis-moi !

Quelques secondes plus tard, leur recherche fut facilitée par des cris déchirant le noir. Rapidement sur place, Georges et Luc découvrirent une femme en robe de chambre tenant dans ses mains la tête pétrifiée d’un homme. Elle leva les yeux en direction de Georges et Luc, puis souleva en leur direction une roche presque trop lourde pour ses mains tremblantes.

- Qu’ont-ils fait à mon mari, cria-t-elle ? Qu’ont-ils fait à mon mari, cria-t-elle de plus belle ?

Georges s’avança lentement. Son souffle était court. Ses pas hésitants. Arrivé dans la lumière, il dévisagea la femme. Il la connaissait pour la croiser régulièrement dans le village. Il baissa les yeux et découvrit dans ses mains une pierre fissurée semblable à une tête humaine. Son étonnement ne dura qu’une demi-seconde. L’horreur et le dégoût prirent rapidement possession de son esprit. Posant une main sur sa bouche, son regard se détourna de ce visage connu dans le but de reprendre ses esprits. Mais baissant les yeux, il découvrit les restes pétrifiés d’un corps. Le torse était maculé de sang. Le liquide rouge ruisselant sur la roche à la recherche du sol pour s’infiltrer.

Georges se retourna et s’éloigna de quelques pas pour prendre une longue inspiration d’air frais. Il vit Luc qui, derrière lui, n’avait pas bougé d’un centimètre depuis leur arrivée. Les mains pendantes et la bouche ouverte, le liquide coulant de ses yeux prouvait qu’il avait compris ce qui venait de se passer.

- Qu’ont-ils fait à mon mari, hurla de plus belle la femme ? Qu’ont-ils fait à mon mari ?

Georges rassembla son courage et prit la femme dans ses bras. Cela ne fit pas cesser ses cris. Les tympans du veilleur souffraient de devoir acheminer cette plainte vigoureuse vers un cerveau qu’il s'efforçait de garder sain.

Tous ces cris avaient alerté les alentours. Bientôt des voisins firent leur apparition mais, impressionnés par la force des plaintes, restèrent à bonne distance. Enfin, Mr Grolet apparut. En homme pragmatique qu’il était, il questionna immédiatement sans prendre le temps de constater la scène.

- Que s’est-il passé ici, demanda le maire ?

- Le mari de cette femme vient de se faire assassiner, lâcha Georges. Occupez-vous d’elle, dit-il en poussant la femme de ses bras vers ceux du plus haut dignitaire du village. Nous devons partir immédiatement à la recherche du coupable.

Mr Grolet n’eut pas le temps de répondre que Georges prenait Luc par le bras pour l'emmener vers la rue voisine. Après quelques pas rapides, ils aperçurent au fond d’une rue parallèle un homme marchant difficilement. Sa démarche était comme saccadée. Une raideur rendait chaque mouvement laborieux. Georges et Luc se rapprochèrent à vive allure et interpellèrent le marcheur. Celui-ci finit par se retourner. Les veilleurs stoppèrent leur course à quelques mètres de cet homme qu’ils semblaient connaître... mais qu’ils ne reconnaissaient plus.

Tout le monde dans le village connaissait Glen, le jeune sauveteur. Il était là, debout. Vraisemblablement mort... mais droit comme un i face aux deux veilleurs.

 

*

 

*        *

 

Face à la monstrueuse vision de cet homme en décomposition déambulant devant leurs yeux, Georges et Luc reculèrent rapidement et trouvèrent protection derrière une maison toute proche. Un souffle glacé frôla l’arrière de la tête de Georges alors qu’il poussait Luc contre le sol. Passant sa main sur la zone froidement touchée, il saisit une mèche de cheveux qui se brisa comme du verre. Des bruits de pas s’approchaient. Nul doute que l’apparition démoniaque cherchait les deux veilleurs. Allongés sur le sol, Georges attrapa Luc par le col et lui cria :

- Il te faut fuir ! Cours et ne te retourne pas ! Va prévenir François ! Je vais essayer de retenir cette chose dans les parages le plus longtemps possible.

Luc paraissait satisfait de ce partage des tâches. Il sauta sur ses jambes et s’enfuit sans un regard en arrière.

Georges se mit sur le dos, les coudes plantés dans le sol. Il ramassa ses jambes contre son torse pour prendre le moins de place possible sur le sol. Il entendait le bruit des articulations rouillées du corps du sauveteur qui s’approchait. Puis, le son fit place à la vision. Glen était là, face à son regard. Le visage défoncé. Les yeux enfoncés dans les orbites. La peau d’un noir imparfait. La lumière de la lune faisait apparaître des tendances marrons et vertes. Une nuée d’insectes papillonnait autour de cet amas de chair à l’odeur putride. Sans aucun mouvement de tête, Georges comprit que l’entité en face de lui sondait les alentours à la recherche des deux hommes qui avaient fui face à elle. Georges ne faisait aucun bruit. Il n'espérait pas échapper aussi facilement à cette créature mais cherchait à gagner du temps. Luc était déjà loin, hors de portée. Il était parti chercher François. Le doyen s‘était dit capable de maîtriser l’esprit d’Howahkan... s’il s’agissait bien de lui. Ne sachant pas comment combattre ce genre d’ennemi, Georges roula sur le sol et percuta les jambes de son adversaire qui tomba comme tombe une masse inerte. Des craquements d’os se fissurant et de peau se déchirant se firent entendre. Georges se leva d’un bond et sauta à pieds joints sur le genou droit du corps putride étendu sur le sol. L’articulation se plia dans le sens contraire à son habitude. Tentant de faire subir la même opération au genou gauche, il sauta à nouveau mais rata sa cible. L’entité en possession du corps de Glen le fit rouler pour échapper à cette seconde charge. De sa tête fut projeté un vent qui plaqua Georges contre le mur situé derrière lui. Sa tête cogna avec force la solide construction et il perdit immédiatement connaissance. Howahkan fit se relever avec difficulté sa marionnette. Tout en examinant les alentours, il se rapprocha du veilleur étendu sans connaissance devant lui.

 

*

 

*        *

 

Réveillés par l’agitation, beaucoup d’hommes craignant pour la sécurité de leur famille étaient descendus dans les rues. Un attroupement s’était créé autour du corps pétrifié du malheureux dont la tête était toujours dans les bras de sa femme criant à la mort, appelant à elle l’humanité et la compassion. Les armes de chasse avaient été sorties des râteliers. La peur et la surprise avaient fait renaître chez certains les instincts les plus primaires. Chaque homme se méfiait de son semblable. Chaque humain tournant au coin d’une rue manquait de tuer son voisin… celui-ci attendant patiemment que les bruits de pas qu’il entendait se rapprochent à une distance létale du canon de son arme. La situation était dangereuse. La bavure irréparable rodait entre les innocents.

Prenant conscience de l’’angoisse ambiante et de la situation dangereuse dans laquelle ses administrés évoluaient, Mr Grolet rameuta la foule et prit la parole.

- Messieurs, la situation est sous contrôle. Des hommes spécialisés sont actuellement en chasse dans le village. Gardez votre calme !

Un vent de révolte monta parmi la foule. Tout une famille était morte la nuit dernière. C’était maintenant un homme que l’on venait de découvrir statufié. Sa femme semblait avoir perdu la raison. Les incertitudes de la foule couvraient maintenant les plaintes de la veuve.

 

- Combien de mort va-t-il falloir pour que le maire réagisse ?

- Allons-nous tous devoir mourir pour que nos élus s’inquiètent ?

- Le maire est complice, c’est pour cela qu’il refuse de bouger !

- Armons-nous et cherchons l’assassin !

 

Le climat était explosif. Mr Grolet mit son charisme de côté et adopta une posture autoritaire.

- Ce n’est pas un conseil mais un ordre ! Des hommes spécialisés sont à la poursuite du meurtrier. Je vous ordonne à tous de rentrer dans vos maisons et de ranger vos armes. Ce que vous faites ne fait qu’accentuer la peur et la suspicion.

A cet instant, des gendarmes en arme arrivèrent et se positionnèrent en cercle autour de l’attroupement. Les fusils étaient chargés mais à cet instant toujours pointés vers le ciel. La stupéfaction gagna la foule. Le maire osait positionner des hommes armés et entraînés face à des civils. L’ultime provocation catalysa un peu plus la colère de la vindicte populaire. Le chien d’un fusil s’arma, puis un second. Bientôt, tous les hommes en arme de l’attroupement étaient prêts à décharger un flot de plomb dans la direction des représentant de l’autorité. La tension était à son paroxysme. Le maire hésitait à prendre la parole de peur d’être l’étincelle au milieu de cet amas de brindilles sèches.

Soudain, la nuit fut transpercée par une voix forte imposant le respect :

- Messieurs ! Qu’est-ce qui vous passe par la tête ? Etes-vous devenus fou ? Votre ennemi ne se trouve pas ici. Il court, il vole... il se faufile actuellement en dehors du village pour rejoindre la montagne et s’y cacher. Ce n’est pas un humain que nous avons face à nous. Ce n’est pas un être fait de chair et de sang comme vous et moi. Vous devez vous montrer fort et vous serrer les coudes.

Le silence s’imposa sur la foule. Les fusils étaient toujours pointés sur des torses mortels. Personne ne bougeait. Le puissant orateur reprit :

- Je vous ordonne de baisser vos armes ! Tout de suite ! Mr le Maire, ordonnez à vos gendarmes de baisser leurs armes !

Le maire s'exécuta. Les gendarmes posèrent leurs fusils à leurs pieds. Les villageois en firent alors autant. Toujours avec un regard de méfiance, chacun reprit le chemin le plus court pour rentrer chez lui.

Rassuré, Mr Grolet se rapprocha de cet orateur providentiel et le gratifia :

- Merci François de votre intervention. J’ai peine à imaginer ce qui se serait produit si vos paroles pleines de sagesse n’avaient désamorcé la situation.

Sans relâcher son attention sur les hommes quittant l’endroit, François répondit :

- Il est urgent que la cellule de veille comprenne et arrête cette abomination. Quant à vous Mr le Maire, votre travail est de communiquer pour faire redescendre la pression au plus vite !

Le calme fut de courte durée. Un cri perça la foule :

- Je viens d’attraper le coupable ! Je tiens l’esprit maudit ! Vite !

La foule s'agglutina. Les gendarmes forcèrent le passage. Ils menottèrent sans plus attendre cet homme qui avait le torse et les mains maculés de sang. François s’approcha pour découvrir le visage du coupable. Il resta bouché bée lorsqu’il reconnut l’un des membres de sa cellule de veille.

 

*

 

*        *

 

Howahkan avait poussé le corps de Glen dans ses derniers retranchements pour pouvoir fuir le village. Il ne pouvait plus plier le genou droit. La peau tombait en lambeaux suite aux assauts combinés des frottements contre le monde et de la putréfaction.

Il avait tué cette nuit. Il avait ôté la vie d’une manière tout à fait originale qui donnerait à réfléchir aux habitants du village. Il ne fallait pas aller trop vite. Il fallait laisser le doute s’installer. Il fallait que tous les êtres vivants confrontés à cette déferlante de haine aient le temps de cogiter et d’alimenter leur imagination. L’esprit du plus puissant des chamans aurait pu réduire en cendres le village d’un seul regard. Il aurait pu rayer de la vallée toute forme de vie d’un seul battement de cil. Là n’était pas le but. Mourir sans souffrir est une chance. C’est un don que fait la vie aux personnes qui le méritent. Les pires morts sont celles qui viennent lentement, qui laissent travailler les cerveaux, qui laissent planer le doute quant à l’arrêt des souffrances. L’homme qui réfléchit en face de la mort se construit lui-même une partie des instruments de torture qui seront utilisés sur son corps et son esprit.

Caché cette nuit là dans son anfractuosité, Howahkan avait une tâche démoniaque à accomplir. Descendre dans le village pour tuer n’était qu’une mince affaire comparé à ce qu’il se devait de réaliser avant que le jour ne se lève. Son esprit déjà puissant se fortifiait à chaque sortie. A chaque manipulation du corps de Glen. A chaque mort. A chaque confrontation avec le monde des vivants. Lorsqu’il avait changé en pierre le descendant d’un des meurtriers de ses ancêtres, il avait senti une force venue du ciel le pénétrer. Une chaleur avait parcouru son esprit jusqu’à lui donner le contrôle des couleurs, des parfums. Jusqu’à lui offrir la maîtrise du chaud et du froid. Le monde autour de sa pensée semblait lui appartenir. Il voyait les forces électriques et atomiques. Les électrons passaient à vitesse réduite devant lui tandis que les protons et les neutrons faisaient étalage de leur force dans la lutte que la matière vivait à chaque instant. Il pouvait maintenant contrôler bien au-delà des éléments de cette vallée proche. Il se sentait capable d’envoyer son énergie à des distances phénoménales sans qu’un moyen physique ou psychique ne puisse l’arrêter. Confiant, il se devait d’essayer de réaliser le rêve de tout esprit qui se veut le plus puissant.

Terré dans la montagne, Howahkan fit le vide dans son esprit.

Sa récente libération. Les morts des deux nuits précédentes. La folie naissante dans le village. Tout devait être mis de côté pour ne laisser qu’une seule volonté faire son chemin. L’idée doit évoluer et se réaliser. Le corps de Glen fut presque libéré de son emprise maléfique le temps d’une minute. Un léger rayon de lumière se faufila hors de l’anfractuosité. Puis c’est une couche de glace qui prit forme un mètre autour de la cachette. Le corps de Glen sursauta, se cogna contre la roche et perdit une oreille suite au choc. Tout ce qu’il restait des muscles du sauveteur fut tendu à l'extrême. Un coude se déboîta et des côtes volèrent en morceaux.

Enfin le calme revint. Howahkan était de retour dans son trou. Fier de lui, il était sûr d’avoir réussi là où tous ses semblables avaient échoué. La réponse viendrait rapidement. Il ne pouvait exprimer de sourire mais son esprit jubilait. La pire crainte de tout mortel allait se produire dans quelques heures. Le pire cataclysme imaginable aurait lieu au petit matin. Ses ancêtres avaient souffert. La vengeance d’Howahkan serait mille fois plus terrible.


Fin de l’acte 1.

 

 

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03/05/2014
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