LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Howahkan (acte 1, part 4)

 

 

La mort ne rode pas. Elle ne se dissimule pas dans les interstices pour frapper sournoisement le vivant qui ne s’y attend pas. Sa volonté n’est pas la destruction. Elle déteste la souffrance. Ne la qualifiez pas de sadique ni d’égoïste ! Elle est partout et en tout temps. Elle ne cherche pas sa proie. Le mortel connaît son destin depuis son plus jeune âge. Il battit sa vie pour fuir au mieux ce jour où l’ultime puissance du monde l’englobera de ses deux bras. Une fois la chaleur touchée, tout mortel se laisse fondre dans la délectation de l’oubli. Les souffrances disparaissent. Les obligations, les compromis, le poids de la vie… tout s'efface pour faire naître la véritable liberté. La libération est souvent brutale mais toujours rassurante pour celui qui a bien compris le sens de la vie. Fuir est naturel. Accepter est courageux. Accepter est une preuve de conscience, le symbole d’une vie de sagesse et de raison. Chaque homme se doit d’être fier quand son corps s’éteint au profit d’un nouveau destin loin des malheurs du monde terrestre.

Le fermier regardait d’un œil serein sa femme et son fils. Un feu diffusait une chaleur boisée dans la pièce fraîchement réveillée. Le lait tiré le matin même régalait chacun des membres de la famille. Personne n’avait fait attention qu’à cette table était venu s'asseoir un invité surprise. Son visage flottait dans les mouvements d’air chaud. Patiemment, il regardait un à un les trois membres de cette famille dégustant leur petit-déjeuner. Le liquide blanc, ensorcelé la nuit précédente, coulait dans les gorges jusqu’aux plus profondes entrailles. Il diffusait dans les muqueuses, dans la peau, dans le sang, dans chacune des cellules du corps un compte à rebours mortel. Des paroles banales s’échangeaient entre les différents protagonistes. L’organisation de la journée fut mise sur la table. Les tâches furent réparties. Un à un, ils finirent leur bol de lait, leur quignon de pain et se levèrent en vue de s’acquitter des travaux afférents à chacun. Au bout de la table, la fumée du foyer s’agglomérait et prenait petit à petit forme humaine. Personne n’y prêta attention. Ce n’est que face à la porte de la pièce inexorablement close malgré les efforts du père qu’un trouble s’empara de la famille. Des sourires d’étonnement furent échangés jusqu’à ce que le fils de la famille n’aperçoive un invité assis confortablement au bout de la table familiale. Alerté, le père contempla l’amas fumeux et tomba à genoux. Sa femme en fit de même. Le fils ne comprit pas. Regardant ses parents, il commença par s'interroger avant de se cacher derrière sa mère, submergé par la peur.

- Restez calme, ordonna le père.

- Qu’est-ce que c’est, demanda le fils ?

Le père ne répondit pas. Il prit la main de sa femme et regarda tendrement son fils. Après un bref instant de communion familiale, les parents baissèrent ensemble la tête en signe de soumission. Ne sachant pas comment réagir, le fils les imita. Les yeux mouillés, le père prit la parole en direction de l’entité fumante.

- Puissant Howahkan, j’implore ta compassion ! Ma famille et moi n’avons jamais fait de mal à personne. Nous vivons en harmonie avec les hommes et la nature. Je t’en prie, épargne-nous.

Le silence fut la seule réponse portée par l’atmosphère ambiante. Le fils tomba le premier. Sans un cri. Sans un pleur. Son corps heurta le dos de sa mère sans bruit avant de rouler sur le sol. Le père lança un regard empli de chagrin et d’impuissance vers sa femme. Elle n’eut pas le temps de lui rendre cette dernière tendresse. Son buste tomba en avant faisant cogner sa tête contre la solide table en bois du salon. Ne lâchant pas la main de son épouse, le père fusilla du regard la forme ondulante au bout de la pièce. Il tenta de se lever d’un bond pour attaquer mais fut coupé net dans son élan et s’écroula à son tour.

Caché au fond de son trou, le corps de Glen fut secoué de trois soubresauts. Sa tête remua un peu laissant ses deux yeux noirs rencontrer un bref rai de lumière. Aveuglé par cette fugace marque d’espoir, le corps de Glen se retourna d’un coup en arrachant sa peau contre la roche de la petite tanière. Des lambeaux en décomposition pendaient de son corps laissant croire que ses vêtements étaient déchirés.

Howahkan recouvrait sa force mais avait encore besoin d’expérience pour être en pleine possession de ses moyens. La nuit qui venait de s’écouler avait été riche. La suivante se promettait d’être longue.

 

*

 

*        *

 

- François, as-tu entendu la nouvelle ?

Georges tambourinait à la porte du doyen de la cellule de veille. Sans réponse, il s‘alarma et fit le tour de la petite bâtisse. Frappant à chaque volet fermé, il cria plusieurs fois le nom de celui qu’il cherchait.

- Qui est là, répliqua soudain une voix venue de l’intérieur ?

- François, c’est toi ? Ouvre-moi, c’est urgent !

- Georges ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi te mets-tu dans des états pareils ?

Georges se planta devant son vieil ami et le regarda dans les yeux :

- J’ai bien peur que tu ais raison…

- Rentre vite, ordonna François comprenant l’intensité de l’inquiétude de son ami.

La porte fut rapidement refermée à double tour et chacun prit une chaise pour s’attabler l’un en face de l’autre.

- Je t’écoute, soupira François.

- Les Side viennent d’être découverts… morts dans leur ferme…

- Toute la famille ? Tous les trois ?

- Oui…

François ferma les yeux et plaça ses mains sur son visage.

- J’aurais tant voulu me tromper... Qu’est-ce qui les a tués ?

- Je n’ai pas vu les lieux mais la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. La femme aurait reçu un coup sur la tête. Par contre aucune trace sur les deux autres corps. Ils sont comme morts… de rien.

- Les corps ont été retrouvés ensemble ?

- Oui, tournés vers la cheminée de la pièce. Leurs esprits semblent avoir quittés leurs corps en un éclair. Il n’y a aucune marque de souffrance ou de peur sur leurs visages.

- Si la souffrance a pu être évitée, c’est une bonne chose. Je suppose que personne n’a rien vu, rien entendu, et qu’il n’y a aucun indice sur les lieux ?

- Les corps ont été découverts il y quelques heures. Le maire et le médecin sont sur les lieux. Ils livrent des informations mais elles ne sont pas encore très précises.

François et Georges restèrent de longues minutes dans le silence le plus total. Leurs regards se croisaient de temps en temps, avant de s’enfuir à nouveau pour courir sur les murs sans intérêts de la pièce.

Soudain, le calme fut coupé par trois coups nets contre la porte d’entrée. François se leva et après s’être assuré de l’identité des visiteurs, ouvrit la porte au maire et au médecin du village.

- Je suppose que vous êtes au courant de la nouvelle, lança Mr Grolet ?

François répondit d’un hochement de tête et s’écarta pour laisser entrer ces deux personnes. Elles prirent place aux côtés de Georges qui se leva pour les accueillir.

- Je laisse le Dr Desmet vous exposer ce qu’il a constaté chez les Side.

- Cela va être rapide, reprit le Docteur. Je n’ai rien constaté du tout ! La femme a une marque de coup sur le front mais qui résulte sûrement de sa chute contre la table en bois massif située devant elle. Cette chute est sûrement consécutive à sa mort. Je ne pense pas que ce choc l’ait tué. Les deux autres corps ne présentent aucune trace de coup ni de blessure.

- Pourquoi nous dire cela, interrompit Georges ?

Prenant un air grave, le maire du village se tourna vers Georges et lui planta son regard dans les yeux.

- Les quelques personnes qui connaissent l’existence de votre cellule de veille la considèrent comme du folklore. La majeur partie de la population ne sait même pas qu’elle existe ! Mais ici et maintenant, nous parlons entre adultes conscients du danger qui règne autour de nous depuis une centaine d’années. Les chamans vivants étaient un danger mais il était plutôt aisé de composer avec eux. Négocier avec un chaman mort l’est beaucoup moins ! C’est le moment de prouver qu’il a été utile de garder votre cellule de veille active pendant tout ce temps.

François se leva et marcha à petits pas autour de la table. La réflexion se voyait sur son visage. Soudain il s’arrêta et prit la parole :

- Je vais vous demander de partir Messieurs. Je n’admets pas que vous veniez vous moquer de nous ainsi !

D’un bond, le maire se leva et de sa grosse voix d’orateur interpella François et Georges.

- Pour qui vous prenez-vous pour refuser de venir en aide à votre village quand celui-ci est attaqué par un esprit venu d’on ne sait où ?

- Gardez votre calme, reprit François. Les esprits n’existent pas. Jamais un chaman ne pourrait renaître cent ans après sa mort. Il faut que vous repreniez vos esprits. C’est un assassin en chair et en os derrière qui vous devez courir. Faire tourner les tables ne vous servirait à rien.

Le Dr Desmet et le maire Grolet se regardèrent sans comprendre la réaction de l’homme en face d’eux.

- Je vous souhaite bonne chance, termina François en désignant du doigt la porte de sa maison.

Une fois seuls, Georges interpella François en quête d’explication suite à cette attitude face aux dignitaires du village venus chercher de l’aide.

- Je suis le doyen et donc le chef de cette cellule de veille depuis des dizaines d’années. Je suis le mieux placé pour savoir qu’Howahkan peut refaire surface parmi nous. Je doute que les Side aient été tués par quelque chose de naturel. Ces deux hommes sûr d’eux n’auraient fait que nous gêner dans nos investigations. Il est impossible de découvrir une vérité sans douter.

- Que proposes-tu ?

- Eux vont chasser un meurtrier fait de chair.

- Et nous ?

François réfléchissait.

- Se déplacer pour examiner les corps est de toute façon sans intérêt. Nous ne sommes pas en chasse d’un meurtrier conventionnel. Il n’aura pas laissé de trace ni d’indice. Nous n’avons pas d’autre choix que d’attendre qu’il recommence pour pouvoir jauger sa force et comprendre son mode opératoire.

- Et quand nous aurons des réponses à ces questions, que ferons-nous ?

- Nous pourrons anticiper. Si je me retrouve face à lui, je saurai le maîtriser !

Georges demeurait sceptique suite à cette déclaration de François. Comment ce vieil homme, avec tout le respect dû à son âge, pouvait prétendre maîtriser un esprit revenu du royaume des morts ? Howahkan avait su être plus fort que tout ce qui existe. Il avait surpassé les volontés naturelles. Le vieux François ne tient presque plus sur ses jambes…

- Tu as une arme secrète, rigola Georges pour dissimuler sa curiosité ?

- Non, répondit François en souriant.

Le doyen laissa s’imposer un silence et réorienta la conversation.

- Va trouver Luc. Explique lui. Je veux que tous les deux vous soyez sur vos gardes la nuit prochaine. S’il s’agit vraiment d’Howahkan, il frappera à nouveau. Sachant d’où il revient, je doute qu’il puisse tolérer la lumière du jour. La nuit est son allié. Et les ambiances nocturnes sont beaucoup plus propices à la réalisation de sa vengeance.

Sans hésiter, Georges acquiesça et quitta la bâtisse à la recherche de Luc. Une fois seul, François ne put refréner un sourire nerveux teinté d’angoisse… et d’impatience.

 

A suivre...

 

 

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12/04/2014
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