LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Howahkan (acte 1, part 3)

 

 

- Le soleil s’est couché, dit François en regardant par la fenêtre de sa modeste maison.

Georges et Luc étaient tous deux attablés. Le silence était pesant. Le temps paraissait ralenti par l’angoisse émanant de l’attitude du doyen.

Georges réfléchissait. Il pensait à ce qu’était capable de faire un esprit torturé retrouvant ses bourreaux. Il n’avait jamais douté de l’existence des chamans et de leurs pouvoirs mais la théorie du vieux François le laissait perplexe. L’âge avancé du doyen termina de le convaincre qu’il fallait faire confiance à ce vieil ami. S’il se trompait, ce ne serait que du temps perdu. Rien de bien grave.

Luc regardait régulièrement sa montre. Quand on est jeune, le temps a de l’importance. On pense qu’il est urgent de le mettre à profit, même à des fins inutiles ou stupides.

“Pourquoi ce vieux veut que je reste assis ici à attendre qu’un esprit venu d’on ne sait où, guidé par on ne sait quelle volonté, frappe le village ? Si je tenais le premier de mes ancêtres qui a accepté de faire partie de cette secte d’illuminés, je lui demanderais de me rembourser au centuple le temps que je perds actuellement.”

Soupirant une énième fois, Luc arrêta de cogiter et prit la parole :

- Qu’est-ce qu’on attend exactement ?

Georges leva les yeux vers Luc mais ne répondit pas. Les mains dans le dos, François regardait toujours par la fenêtre. Sa main droite serrait fort sa main gauche tremblante. Son corps était le cœur d’une bataille entre la peur et la rationalité.

- Si personne ne me répond, je vais vous quitter et reprendre le cours de ma vie, insista Luc.

Mais il n’eut pas le temps de se lever. François ordonna d’une voix forte :

- Ta mission est d’attendre ici avec nous !

- Attendre quoi, répliqua le jeune insolent ?

- Attendre que la nuit rende son verdict. Il se peut que je me trompe, dans ce cas tu pourras reprendre ta vie là où tu l’avais laissée avant de franchir le pas de cette porte. Mais s’il s’avère que j’ai raison, tu devras penser au bien de la communauté avant d'espérer satisfaire tes désirs.

- Vous voulez que j'attende ici toute la nuit, s’étonna Luc ? Vous n’êtes pas bien ?

- Calme-toi, reprit Georges d’un ton d’apaisement. Tu peux t’allonger et dormir un peu si tu veux. Nos destins sont liés cette nuit. Par tes ancêtres, ta présence parmi nous est indispensable en cette période de doute.

- Période de doute ? Mais notre présence ici est basée sur les ressentis d’un vieil homme !

François se retourna vivement et posa violemment ses deux poings sur la table.

- Connaissais-tu les jumeaux ? Benjamin et Vincent ?

Luc n’eut pas le temps de répondre.

- Connaissais-tu Marie ? Leurs corps ont été découverts atrocement mutilés. Ils ont, avant de mourir, commis les uns sur les autres des actes inhumains. Tout porte à croire qu’ils avaient perdu la raison. Qu’une folie avait pris possession de leurs cerveaux jusqu’à leur dicter de s’entretuer en usant de la sauvagerie la plus ignoble.

Luc déglutit. Il ne sut quoi répondre. François se redressa et reprit sa place face à la fenêtre. Sa voix usée et fatiguée continua de rythmer le silence :

- Je connaissais ces enfants. Je connaissais aussi Marty et Glen. Marty a été assassiné et Glen a disparu. Je suis peut-être vieux... je n’ai peut-être plus toute mes forces... mais je sais reconnaître le mal quand il rode. Il chemine dans ces montagnes depuis deux jours. Cinq personnes ont déjà croisé sa route et notre mission est de faire en sorte que son épopée s’arrête le plus tôt possible. S’il faut veiller toute la nuit, alors nous veillerons toute la nuit. Et… J’ose espérer qu’aucun de vous deux ne pourra fermer les yeux sachant ce qui se trame dehors.

- Tu sais que tu peux me faire confiance, promit Georges à François en regardant Luc dans les yeux.

Perturbé et ne sachant toujours pas quoi répondre, Luc mit de côté son attitude rebelle pour se plier à la volonté de ses partenaires.

- Ok je reste. Mais je sens que l’on va bien s’ennuyer…

- Je l'espère de toute mon âme, reprit François dans un soupir.

 

*

 

*        *

 

Au cœur de la nuit, les vaches d’une étable située à l’écart du village meuglèrent sans raison. Le concert sans harmonie dura moins d’une minute avant que le silence ne reprenne ses droits. Un froid glacial prit soudain possession de la construction en bois figeant sur place les animaux apeurés. Un vent tourbillonnant s’éleva du plancher. Il gonfla, accéléra, jusqu’à occuper tout le bâtiment. Le bruit à l’intérieur de l’étable était insupportable. Les vaches laitières restèrent en place sans lutter. Les pattes coupées par une volonté forte. La gorge et la langue immobilisées par le froid intense. Que peut ressentir un animal quand il sent la mort se balader dans son corps ? Quand il sent le maître de la nuit jouer avec ses sensations ? Quand ses muscles et ses volontés sont annihilés par un pouvoir invisible mais omniprésent ?

Dehors, tout était calme. Le corps de Glen était allongé contre un des murs de l’étable. La tête pendante. La pourriture gagnant du terrain à chaque minute.

Soudain, un flash lumineux s’échappa de l’étable et mourut aussi rapidement qu’il avait surgit. Le vent cessa dans le bâtiment. Le silence d’une nuit normale reprit sa place. Les vaches libérées de l’emprise du mal reprirent leurs activités nocturnes quasi inexistantes.

Mû par une malédiction chamanique, le corps de Glen se leva ce qui fit fuir les mouches occupées à pondre dans ses chairs. A pas lents et maladroits, il s’en fut vers la montagne retrouver l’anfractuosité qui avait été son antre la journée précédente. Se calant dans la roche, Howahkan ne pensa pas aux graines de vengeance qu’il venait de semer. Il ne pensa pas au futur plan qu’il faudrait mettre en place et exécuter la nuit prochaine pour continuer son œuvre. Comme éteint par l’inutilité du moment présent et l’arrivée imminente du soleil, le plus puissant esprit des chamans laissa le corps de Glen se fixer à la roche dans un relâchement général.

Dehors, le soleil commençait à peine à se lever quand un fermier quitta sa demeure pour aller traire ses vaches. L’homme se devait d’être matinal, sa femme et son jeune fils attendaient le lait de la première traite du matin pour déguster leur petit-déjeuner.

 

A suivre...

 

 

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06/04/2014
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