LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

D'un fou à l'autre (9/13)

 

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           La nuit fut courte pour Hal Hogan et Simon Laye. Le téléphone sonna à minuit. Simon tendit le bras sans ouvrir les yeux et décrocha. “J’arrive” fut sa seule réponse. Il reposa son smart phone sur la table de chevet et se leva. Encore habillé, il bouscula rapidement Hal avachi sur son canapé :

- Hal, il faut y aller. Il y a encore eu un mort.

            Le corps embrumé par le whisky et le tabac ne réagit pas.

- Hal, il faut qu’on se bouge, cria Simon dans les oreilles de son coéquipier.

            Hal ouvrit les yeux et saisit Simon par le col :

- Pourquoi tu me cries dessus ? Qu’est-ce qu’il y a ?

- On a un nouveau mort… les collègues viennent de me prévenir.

- Qui ?

- Taig Coll

- Putain ! fut la seule réponse de Hal.

            Taig Coll, l’un des deux derniers membres du fameux gang des adolescents, venait d’être retrouvé mort. Le gang n’en était plus un. L’unique membre encore vivant ne pouvait pas former à lui tout seul une union de malfaisants prêts à tout.

            Rapidement dans la voiture en route vers la barre HLM, Simon relança la conversation :

- Comment tu te sens ?

- Je ne me sens pas, tout ce dont je suis sûr, c’est que je suis vivant… On sait comment Taig est mort ?

- Pas de détails. Les collègues ont parlé d’une explosion.

- Au moins personne ne l’a bouffé celui là… mais ça ne veut pas dire que ses organes n’aient pas vu la couleur… de la nuit…

- Très fin comme réflexion, ponctua Simon.

- Le whisky… le whisky joue avec mon cerveau comme Syd Barrett jouait avec sa guitare… si tu n’es pas dans le même état que moi, tu ne peux pas me comprendre.

- Sans vouloir t’offenser, je pense que personne n’a alors envie de te comprendre…

- Je ne souhaite à personne de me comprendre…

            Rapidement, grâce aux artifices sonores et lumineux de la police nationale, Hal et Simon arrivèrent sur les lieux de l’explosion. Ils se garèrent à côté d’un camion de pompiers, entre deux voitures sérigraphiées.

            Une carcasse de voiture était fumante. Les soldats du feu venaient de déverser une bonne quantité d’eau sur ce qui avait été le bien d’un habitant modeste de la barre HLM. Quelques personnes avaient profité de l’agitation pour s’offrir un drame… habituel à la télé… ici il y avait en plus les odeurs, la 3D et aucune censure des instants morbides.

            Sous un drap blanc gisait un corps. De par sa position, il était possible de deviner qu’un bras avait été arraché par la violence de l’explosion.

            Une fois le corps ramassé et stocké dans le véhicule du Samu, une fois les dernières fumées dispersées, les quelques humains sans uniformes présents sur place rentrèrent se coucher.

            Hal s’approcha d’un bleu et apprit les détails de la mort de Taig Coll. L’adolescent avait essayé de voler une voiture et celle-ci avait explosé lorsque le démarreur avait été actionné. Taig n’avait pas encore fermé la porte quand l’explosion eut lieu. Il fut éjecté à quelques mètres du véhicules, un de ses bras quelques mètres plus loin, à l’instant où la voiture prit feu.

            Une nouvelle fois, rien ne s’était passé normalement près de cette barre HLM. Une voiture n’explose pas quand un voleur essaye de la démarrer, que ce soit avec un tournevis ou un boîtier électronique. Une voiture ne peut pas prendre feu du capot jusqu’au coffre dans le même instant.

            Hal et Simon ne se parlèrent pas. Ils pensaient la même chose. Pas la peine de perdre du temps en échanges stériles.

- On sait à qui appartenait la voiture ? demanda Simon au bleu.

- Oui, j’ai ça quelque part… Il feuilleta un carnet à spirales et termina : elle appartient à un dénommé Syril Kaul.

            Hal et Simon furent forcés de se regarder. Encore ce Syril. L’informateur qui se fait enlever et torturer...

- Je l’appelle, s’ordonna Hal.

- Tu es sûr que c'est une bonne idée ? Il ne vaudrait pas mieux le prendre par surprise demain matin chez lui ?

- Tu as raison, il vaut mieux le prendre par surprise, physiquement. On y va !

- On ne peut rien faire avant demain matin, objecta Simon.

            Hal prit son coéquipier par l’épaule, l’écarta de la masse des secouristes et lui dit tout bas :

- C’est un indic. Il n’osera pas user de la loi contre nous. Il sait que ses activités peuvent rapidement arriver aux oreilles de toute la barre…

- Je sais Hal, mais tu ne devrais même pas être là. Tu penses qu’il faut prendre autant de risque ?

- C’est même indispensable. On y va, tout de suite !

            En quelques minutes Hal et Simon furent sur le pas de la porte de Syril Kaul. Ils tapèrent. Aucune réponse. Ils tambourinèrent… jusqu’à ce qu’un voisin ouvre sa porte :

- Qu’est-ce qu’il se passe ici ?

- On veut voir Syril, répondit sèchement Hal.

- Sa chambre est derrière le mur de la mienne, je vais vous le réveiller.

            Un instant plus tard, un gros “boom” suivi d’un “Syril, tu as des visiteurs” se fit entendre. Une minute plus tard Syril apparaissait face aux deux policiers. Il balbutia :

- Il est quelle heure ?

- Trop tard pour dormir, trop tôt pour picoler, répondit Hal.

            Les Deux entrèrent sans attendre d’invitation. Près du canapé, Hal ouvrit le bar et en sortit la seule bouteille qu’il contenait, du whisky :

- Je peux ? demanda-t-il.

            Un geste nonchalant de la main autorisa Hal à se servir… mais pas à boire au goulot.

- Vous ne savez pas ce qu’est un verre dans la police ?

- Chez nous la mode est plutôt au bleu, lâcha Hal. T’es au courant pour ta voiture ?

- Quoi ma voiture ?

- Elle est en cendres…

            Syril regarda Simon qui hocha la tête en signe de confirmation. L’indic prit place sur le canapé. Il réfléchissait lourdement.

- Je crois que j’ai fait une connerie…

- On t’écoute, ordonna Hal.

            Mais Syril Kaul ne parla pas. Il avait tourné la tête vers l’extérieur. Son regard plongé dans la nuit noire, il semblait faire le tri dans ce que brassait son cerveau.

- On t’écoute, reprit Simon sur un ton plus ferme.

- Qu’est-ce que vous voulez savoir ? demanda innocemment Syril.

- Tu nous prends pour des cons ? cracha Hal. Tu vas nous faire croire que ta voiture a explosé toute seule, sans l’aide de personne ?

- Si elle a explosé, c’est que quelqu’un y a touché.

- Exactement ! Alors ? Pourquoi ta voiture explose quand on y touche ?

- Quitte à ne plus pouvoir profiter de ma caisse, je veux que personne ne puisse en profiter.

- Tu l’as donc piégée ?

- C’est ça ! Vous pouvez me remercier, le voleur ne va pas être difficile à retrouver. Ca fera au moins un vol de voiture élucidé pour cette année…

            Hal se jeta sur Syril, le prit pas le col et le plaqua contre le mur. Il lui murmura doucement à l’oreille :

- En plus tu te fous de notre gueule ? Un homme est mort ce soir. Un bras arraché. Je pense que tu y es allé un peu fort sur le dosage. Tu aurais pu tuer des innocents avec ta connerie !

- Tu aurais aussi pu te tuer toi, ajouta Simon.

            Syril souffla et baissa les yeux. Il écarta l’emprise de Hal et vint s’asseoir sur le canapé :

- Je faisais partie des cibles...

- Explique-nous ça, répondit énergiquement Hal.

            Syril secoua la tête :

- La semaine dernière, j’ai pété les plombs. Je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu jouer au grand. J’ai pris le monde de haut, toute une journée. Puis le soir, j’ai bu… et je ne me souviens pas de ce qu’il s’est passé entre mon entrée dans ce bistrot et mon réveil le lendemain… Je me suis juré de ne plus jamais boire… mais j’ai quand même acheté une bouteille de whisky… et pour être sûr de ne pas prendre le volant, si jamais je devais ne pas respecter ma promesse, j’ai piégé ma voiture… je n’ose imaginer ce qui pourrait m’arriver si je m’éloignais de mon appartement dans un état second… Qui est le mort ?

- Tu le connais bien… répondit Hal.

- Je le connais ? C’est qui ? demanda-t-il cette fois à l’attention de Simon.

- Taig Coll.

- Putain… fut la seule réaction de Syril.

            Il se leva et se saisit de la bouteille de whisky. Une belle gorgée fut ingurgitée avant qu’il ne se laisse à nouveau tomber dans le canapé.

- J’ai peur messieurs…

- Il fallait être plus discret, répondit Hal. On ne peut pas jouer les balances et espérer passer entre les gouttes si on se déplace comme une baleine. Tu aurais dû te faire tout petit… tout, tout petit…

- Qais va me tuer dès demain, il faut que je parte…

- Qais Friec ne te fera rien du tout, le rassura Hal.

- Vous allez me protéger ?

- En quelque sorte…

- Comment ça ? s’énerva Simon. On ne va pas protéger ce con !

            Syril ne releva pas l’insulte.

- Non, on ne va pas le protéger directement, mais on va s’occuper du cas de Qais Friec. Il sera en garde à vue dès 6h. Nous avons tout ce qu’il nous faut pour l'interpeller.

- Sauf l’ordre du juge, ajouta Simon.

- On verra ça demain. On expliquera que l’on a dû agir dans l’urgence pour ne pas avoir à gérer un bain de sang.

            Hal se tourna vers Syril. Je suis sûr que tu sais où trouver Qais.

- Bien sûr. Cette nuit il est chez sa copine. C’est deux étages au-dessus. La porte orange.

- Reste 4h à tuer avant d’y aller. Il serait sage de dormir un peu. On va squatter ton canapé.

            Hal poussa Syril dans sa chambre. Puis il saisit la bouteille de whisky, but une dernière fois avant de s’allonger sur le canapé hors d’âge :

- Ton clic clac était plus confortable, lança-t-il à Simon…

- Parce que je n’ai pas de clic clac, mais un vrai canapé qui m’a coûté une fortune.

- Quelle idée, ajouta Hal. Etre mal assis face à la télévision est un avantage… on y reste moins longtemps…

            Simon sourit en s’allongeant. Malgré toutes les épreuves de ces derniers jours, Hal n’avait pas perdu sa vivacité d’esprit, et était toujours incapable de placer un filtre entre ses pensées et sa bouche. Les réflexions fusaient dans l’air en même temps qu’elles traversaient son esprit. Mal habitué, il était possible d’être choqué… surtout pour les bien pensants inconscients des réalités de la société.

            4h défilèrent comme une gorgée d’alcool. Syril Kaul réveilla ses squatters 10 minutes avant l’ouverture légale de la chasse :

- Il va falloir vous préparer Messieurs !

- Il est quelle heure ? demanda Hal ?

- 5h50.

- Ca nous laisse encore 5 bonnes minutes de sommeil. Reviens tout à l’heure.

            Syril ne sut quoi répondre. Il se tourna vers Simon qui avait bougé. Difficilement debout, celui-ci se dirigea vers les fenêtres. Il contempla les alentours de la barre HLM. Tout était calme… les jeunes étaient à peine couchés, les chômeurs loin d’être levés.

 -On y va, Hal, ordonna Simon.

- Je suis debout, répondit Hal toujours allongé, les yeux fermés. Va le choper tout seul, tu en es capable.

- Tu te fous de moi ?

- Oui !

            Et Hal se leva. En une minute ils furent devant la porte orange de Qais Friec. Ils ne frappèrent pas. Un coup de pied bien lancé fit sauter la porte hors d’âge. La poignée intérieure défonça le placo avant de rebondir. Armes aux poings, Hal et Simon entrèrent dans l’appartement. Des cris accompagnèrent leurs pas : “POLICE ! POLICE !”

            Qais Friec fut rapidement trouvé dans ce deux pièces minuscule. Encore endormi dans les bras de sa copine, il fut retourné sur le dos, les bras et les jambes entravés avant qu’une paire de menottes ne soit posée.

 -Qais Friec, tu es en état d’arrestation, lâcha Hal calmement.

- De quoi tu me tutoies mec ? fut la réponse du dernier membre du gang des adolescents.

- Je sens qu’on a affaire à un littéraire, rigola Simon. Le traitement de texte va encore surligner en rouge chacune de ses phrases, je vois d’ici la tête du compte rendu d'interrogatoire…

- Tu te fous de ma gueule poulet ? hurla Qais.

- Chacun son tour, tu t’es déjà bien moqué du monde.

- Tu devrais plutôt nous remercier, ajouta Hal. En tant que spécimen unique, dernier survivant de ton espèce, de ton gang, on va te mettre dans un zoo pour te préserver.

 

A suivre...

 

 



04/10/2015
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