LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

1420.4556 MHz (chapitre 4/5)

 

 

 

Après-midi du mercredi 1er juin 2016. Impossible pour les pays encore neutres de le rester plus longtemps. L’Australie et la totalité du continent Africain rejoignent les Etats-Unis. La guerre est maintenant mondiale. Le mois de juin 2016 commence, 6 semaines maintenant que la terre subit quotidiennement la destruction des hommes. La force nucléaire l’assaille plusieurs fois par jour depuis quelques dizaines d’heures. Des millions de morts, des territoires entiers détruits et pollués… l’homme se bat pendant qu’un scientifique rêve encore...

 

Ce soir là, bercé par des idées toutes plus instables les unes que les autres, Hal Hogan tente de se reposer dans un canapé qu’il ne connaît pas. La femme qu’il aime, dans une chambre si proche, dort depuis le milieu de l’après-midi. Elle semble plongée dans un sommeil si serein qu’il n’ose pas la réveiller pour la forcer à manger un peu. La fatigue qui la submerge est sûrement ancienne.

Une couverture dénichée au fond d’un placard sur le corps pour faire croire à son esprit qu’il est maintenant nécessaire de dormir, Hal reste fixement allongé sur le dos, le regard dans le blanc du plafond. Les mains serrées l’une dans l’autre, posées sur le ventre, il oublie son corps pour mieux se concentrer sur les derniers événements de sa vie. Tout s’est écroulé en l’espace de quelques jours. La fin du SETI, la destruction du radiotélescope et de toutes ses archives. La mort de son fils dans une guerre dont les prémices sont le prix du baril de pétrole… quel pays peut laisser sa jeunesse mourir au combat sur un sol lointain et froid pour un liquide noir qui, une fois utilisé, devient un des pires polluants que la terre ait porté en son sein ? Hal Hogan repense à Donovan Taylor… impossible que ce scientifique admis au SETI ne se soit pas rendu compte de ce qu’il avait trouvé. Jamais un petit doctorant sans expérience ni curiosité n’aurait pu travailler à Green Bank. Les élus à qui il a été permis de jouer avec un engin de cette qualité ont toujours été triés sur le volet et fait partie de l’élite des scientifiques mondiaux. Donovan Taylor a forcement compris ce qu’il avait trouvé… et pourtant toutes les traces de ses recherches ont disparu. Tout son savoir, même celui stocké dans son cerveau, n’est plus.

Les minutes passent, lentement, comme si la clepsydre avait été remplie de sable mouillé plutôt que d’eau. Autour de la maison, rien n’est calme. Des voitures passent, des avions parcourent le ciel. Klaxons, coups de frein et accélérations rythment les nuits claires de cette banlieue de Baltimore. L’agitation ambiante est le symptôme d’une pensée qui se propage : la guerre nucléaire en cours n’épargnera personne !

5h du matin. Hal ne dort toujours pas. Sa femme est couchée depuis maintenant plus de 12 heures. L’inquiétude remplit son cœur de minute en minute. 5h15... 5h30. Il ne tient plus et décide de se rendre au chevet de celle qu’il aime. Doucement, comme pour ne pas réveiller un enfant sur lequel on vient veiller, Hal ouvre la porte de la chambre. Il s’approche… et comprend que la situation a changé. L’air n’est plus chaud et rassurant. La position soulagée de sa femme a laissé place à une attitude dramatiquement sereine. Hal ose une caresse. La joue est froide. Sa seconde main est aventurée, mais la vérité a déjà submergé tous ses doutes. L’air ne circule plus, le cœur a cessé de rythmer le temps. Hal Hogan s’assied sur le rebord du lit, remonte la couverture pour que sa femme n’ait pas froid. Un rayon de lune passe au travers des rideaux. Dans sa lumière se propage le sourire d’un enfant au milieu d’une famille jeune et unie. Bercé par les bruits ambiants de la rue, la mort est parfois aussi douce que peut l’être l’apaisement d’une mère qui sait qu’elle va rejoindre son fils. Une main dans les cheveux de sa bien-aimée, Hal ne peut pas empêcher quelques larmes de couler. Tout ce qu’il avait n’est plus. Sa femme était le dernier vestige d’une vie passée, des années de bonheur pendant lesquelles un homme est capable de croire que perpétuer la vie est une bonne idée... pendant lesquelles la faible opinion de l’humain pour lui-même ne suffit plus à stopper les élans de générosité envers une progéniture chétive et promise à un monde triste et malodorant.

Hal Hogan baisse la tête, retire les mains du corps de sa femme, fixe le visage de celle qu’il a aimé, tourne la tête vers la table de chevet porteuse d’une photo de son fils, puis bascule pour se coucher dans un lit où il ne s’est jamais étendu. Hal trouve enfin le sommeil. Cette masse lourde qui vous assomme, que vous sentiez au-dessus de votre tête depuis longtemps. Un soulagement...

Lorsque l’homme n’a plus rien ni personne à qui tenir, il gagne la liberté et la sérénité du solitaire à qui toutes les portes s’ouvrent… s’il a encore la volonté d’avancer !

Le soleil transperce les rideaux depuis de nombreuses heures quand Hal ouvre les yeux et repense aux événements de la nuit. Sa femme est toujours là, étendue, sereine. Etrangement, tout semble calme à l’extérieur. Après quelques pas en direction de la cuisine, un coup de frein doublé d’un klaxon virulent rassurent Hal Hogan dans sa position : un homme au milieu d’un troupeau d’animaux effrayés par la mort.

“Beaucoup de choses ont changé ici, mais pas chez les autres…”

Un petit déjeuner frugal rapidement avalé et Hal Hogan mobilise son esprit sur ce qu’il pense être la dernière étude de sa vie. Celle de ce signal, celle de ce Donovan Taylor, celle de supprimer les inconnus dont sont jonchés les événements qui ont mené un brillant scientifique à ne pas comprendre qu’il avait découvert une preuve de vie extraterrestre. Impensable, inconcevable ! Une vie ne peut pas se finir avec un tel goût d'inachevé. Les quelques forces qu’il lui reste doivent être plongées dans la bataille. Hal Hogan n’est pas homme à fuir le combat.

D’un geste brusque il ouvre son ordinateur et se lance une nouvelle fois dans l’étude de tous les documents que contiennent les archives qu’il a pu sauver. Il se concentre sur les travaux de Donovan et découvre que le nombre d’écoute réalisé par ce scientifique après sa captation du 15 août 1977 n’a cessé d’augmenter de jour en jour, dépassant largement les données collectées par tous les autres membres réunis du SETI de l’époque. Un rapide calcul offre à Hal une donnée vertigineuse : Donovan Taylor, quelques jours avant sa mort, devait passer presque 20 heures par jour à enregistrer les données de l’antenne géante, à les intégrer dans le lent et imposant ordinateur de l’époque puis à les traiter.

La fatigue pourrait être un facteur expliquant son accident de moto… Hal n’y croit toujours pas. Il a le même esprit que cet homme. Il sait comment se comporte un scientifique. Tous ces hommes connaissent le hasard, le chaos, ils connaissent tous les maux de la vie en communauté. Aucun d’eux ne pourrait prendre le risque de perdre la vie bêtement alors qu’il se trouve au cœur d’une recherche capable de transformer la face du monde. Aucun savant fou ni aucun scientifique capable de se perdre dans l’euphorie n’a jamais mis les pieds à Green Bank.

Hal Hogan comprend l’attitude de Donovan Taylor. Elle est rationnelle et correspond à ce que ferait tout bon scientifique à la recherche d’une vérité qu’il pense pouvoir toucher du doigt. Mais l’absence totale de notes sur sa démarche, ses idées, ses conclusions, ses théories… l’absence totale de rationalité dans cette mort accidentelle… Le parcours clair d’un chercheur a été stoppé net par une force éloignée de tout raisonnement scientifique.

Hal en est désormais persuadé !

Ses archives ne contiennent rien qui pourrait l’aider à aller plus loin. La tête posée sur les mains, il réfléchit à la manière de faire avancer son enquête. Les minutes passent rapidement quand soudain il relève la tête : “mais pourquoi je n’y pense jamais plus tôt ! Jamais je ne m’habituerai à ces nouvelles technologies. Elles ne sont vraiment pas un réflexe pour moi…”

Et Hal ouvre une page internet.

Il retrouve avec difficulté le site contenant l’article de journal sur Donovan Taylor. Il lit le tout une nouvelle fois et cherche des noms : celui de sa veuve, celui d’hypothétiques enfants. C’est sous la photo d’illustration qu’Hal trouve une des réponses à ses questions. Avec un mauvais goût certain, le journaliste a publié, pour illustrer son article, une photo de la femme du défunt, le mouchoir sur le nez, devant la tombe de son mari fraîchement inhumé.

Susan Taylor.

Hal Hogan ne peut que frissonner devant le sans-gêne de ce journaliste… sans pour autant oublier de le remercier car ce non-respect lui permet enfin d’avancer.

Les doigts pianotent encore et encore sur le clavier. Hal n’a pas l’habitude de faire des recherches minutieuses sur la toile mais finit par trouver l’adresse d’une dénommée Susan Taylor grâce au site gouvernemental gérant les pensions versées aux veuves de scientifiques des Etats-Unis. Cette femme habite désormais dans une ville nommée La Ronge, dans le grand nord Canadien. Hal est étonné : pourquoi une femme apparemment tout ce qu’il y a de plus américaine aurait décidé d’aller vivre dans un endroit si éloigné de la civilisation de masse, loin de la modernité facile…? L’idée d’une fuite s'empare de l’esprit du scientifique.

Hal hésite, mais sait qu’il va devoir aller sur place s’il veut des réponses à ses questions. Comment se rendre à La Ronge ? Quelques minutes lui sont nécessaires pour faire apparaître toutes les solutions offertes à lui pour rejoindre cet endroit si éloigné. La guerre empêche tout mouvement aérien. Les trains ne passent les frontières qu’après des heures et des heures de contrôle, quand ils ne sont pas tout bonnement refoulés. Des quarantaines arbitraires sont organisées pour démasquer les terroristes et les dissidents cherchant à fuir leurs obligations de citoyen américain. La réflexion s’impose... mais ne dure pas longtemps. Hal Hogan sait qu’il n’a plus grand chose à perdre. Sa volonté de tout mettre en œuvre pour comprendre est la plus forte. D’un bond il se lève, cherche les clés du pick-up de sa femme, embarque quelques boîtes de conserve et des bouteilles d’eau, fourre dans ses poches tout ce qu’il peut trouver dans le portefeuille de son épouse et se lance dans une aventure qu’il sait être la source des dernières vraies émotions de sa vie.

3600 kilomètres à parcourir dans deux pays en guerre. Hal s’accroche, fait valoir son âge pour passer presque anonymement les contrôles militaires fréquents à la recherche d’une jeunesse qui refuse de partir à la boucherie. Ses journées sont courtes. Il doit régulièrement s’arrêter pour se reposer autant physiquement que moralement. Certaines villes sont complètement rayées de la carte. Des zones radioactives sont délimitées mais comme aucun officiel n’est là pour les garder, Hal peut franchir les interdictions et avancer au rythme qu’il désire. Des champs de milliers d’hectares ont été brûlés par le feu nucléaire. Des montagnes ont été déchirées par les souffles venus de la lointaine Russie.

Hal avance. Il se concentre sur son unique but : Susan Taylor. Les plaies de la guerre ne le freinent pas. La frontière avec le Canada est passée sans difficulté sur une petite route perdue et défoncée. Les dernières centaines de kilomètres sont parcourues à faible vitesse.

Enfin, après un peu plus d’une semaine de route, La Ronge apparaît devant les yeux d’Hal Hogan, le jeudi 9 juin 2016.

Hal s’arrête devant l’adresse qu’internet lui a fournie. Il descend du pick-up et se place face à la porte de l’habitation. Il hésite, puis tape. Les gonds grincent et laissent apparaître une femme âgée tenant difficilement sur ses jambes.

“Vous êtes Madame Susan Taylor, la veuve de Donovan Taylor, chercheur au SETI, demande Hal Hogan ?”

“Oui”

 

A suivre...

 

 

 



04/02/2015
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