1420.4556 MHz (chapitre 1/5)
Cette histoire est basée sur des faits réels... mais reste romancée. Les noms des protagonistes ont donc été modifiés.
Matinée du mardi 31 mai 2016 : une guerre économique de presque 2 ans entre la Russie et les Etats-Unis, lutte majoritairement rythmée par les cours du pétrole, vient de se terminer. La guerre, la vraie, avec ses affrontements physiques, ses morts innocents et ses dirigeants coupables, fait rage. Depuis plusieurs semaines les troupes des 2 pays se rassemblent, se positionnent et s’affrontent. Les premiers missiles de destruction massive ont été lancés. Certains sont détruits par les systèmes antimissiles, d’autres passent au travers des mailles et déchaînent sur les populations civiles le feu nucléaire.
Depuis plus de trente ans, chaque matin, Hal Hogan est le premier à franchir l’entrée du radiotélescope de Green Bank en Virginie-Occidentale. Le soleil n’a jamais réussi à se lever avant que ses pas ne résonnent dans l’enceinte de cet endroit mythique. Aujourd’hui plus que jamais, Hal Hogan est encore le premier... et le seul scientifique qui ne franchira plus cette porte. La nouvelle est tombée il y a une semaine. Ses collègues ont déjà tous fait leurs cartons pour fuir vers d’autres centres de recherche… les militaires embauchent à tour de bras les spécialistes de l’écoute du ciel depuis le début des hostilités Américano-russes. Le radiotélescope vient de fermer ses portes. Le cœur du programme SETI vient d’arrêter de battre faute d’alimentation monétaire. La guerre déclarée entre les Etats-Unis et la Russie mobilise tous les crédits de la maison blanche. Plus aucun dollar ne doit être gaspillé dans des futilités telles que l’écoute des confins de l’espace à la recherche d’un signal extraterrestre. A quoi bon découvrir des petits hommes verts si c’est pour offrir les fruits de cette découverte à l’envahisseur russe ?... Le congrès a rapidement tranché : Hal Hogan a perdu son travail, relégué à la retraite forcée.
Petit homme frêle, inconscient de la chance qu’il a de posséder encore beaucoup de cheveux pour son âge, Hal Hogan vient de prendre place devant son bureau comme si l’antenne située 150 mètres au-dessus de sa tête captait encore de quoi alimenter ses recherches. Face à lui, deux cadres photos : sa femme qui a quitté le domicile conjugal il y a maintenant plus de dix ans et son fils qui a fini ses études, pris son indépendance et plus récemment le chemin de la guerre. Un fils qu’il n’a jamais vraiment connu... une femme qu’il a oublié au fil des ans, de ses recherches, de ses nuits où il ne rentrait pas, de ses week-ends où il refusait les sorties et le cinéma pour ne pas distraire son cerveau de son unique quête : découvrir une intelligence extraterrestre.
Un rêve de gamin pour Hal Hogan. Il avait réussi ce que peu d’hommes réussissent : devenir à 30 ans ce qu’il rêvait d’être quand il en avait 5. Depuis qu’il avait compris ce qu’étaient une étoile, une galaxie, l’univers... il n’avait cessé d’imaginer à quoi pouvait bien ressembler le fruit d’une autre évolution de la vie. Aidé par les statistiques, cet enfant était persuadé de l’impossibilité qu’une forme de vie ne se soit pas développée sur une autre planète. Il suffisait de trouver cette deuxième terre. Elle était là, cachée dans le ciel, comme une goutte d’eau tombée des nuages se dissimule dans un océan.
Mais tout ceci n’est plus. Le rêve est brisé. Hal Hogan n’a plus le droit d’utiliser son stéthoscope géant capable d’écouter les entrailles de l’univers. Pour ne pas rester inactif dans ces immenses laboratoires maintenant désertés, à court de nouveaux enregistrements venus du ciel, Hal Hogan a choisi de piocher au hasard dans les archives de ses collègues et d’analyser, avec les derniers outils modernes, de vieilles captations peut-être insuffisamment étudiées. Il sait son temps compté. L’armée ne tardera pas à venir positionner ses quartiers pour transformer son espace de jeu en une immense station radar destinée à la destruction de l’homme d’en face... celui qui n’a pas la même langue, le même drapeau, le même uniforme ni le même chef…
Sur le disque dur de son ordinateur portable, Hal recopie des signaux captés dans les années 60 et 70, à l’époque où les technologies numériques n’étaient qu’à leurs balbutiements. Il en profite pour écouter longuement ces enregistrements. Difficile d’y trouver une régularité, une séquence sonore qui aurait pu être émise par un engin mécanique. Il s’imagine, sans pouvoir en être sûr, l’explosion d’une étoile, le souffle d’un trou noir qui capte une lumière ou la chute d’une comète sur une exoplanète. Plus fort qu’avec de la musique, l’imagination d’Hal est emmenée dans les confins de l’espace. Cette fuite vers l’infini le fait rajeunir, son cerveau se déplace alors plus vite que la lumière, cette célérité le fait redevenir un petit garçon de 5 ans : l’enfant qui vient de comprendre que le ciel n’est pas figé comme une toile épinglée mais en constant mouvement, comme son cerveau tressaille en permanence dans sa boite crânienne.
Hal Hogan passe son temps entre les salles d’archives et son petit bureau. Il revient de chacune de ses excursions vers le passé avec une dizaine de bandes, chacune datée du jour de captation du signal. Bientôt vient le tour du 15 août 1977, date choisie au hasard. Hal sélectionne dix bandes en bon état. Après les avoir posées sur son bureau, entre son ordinateur et les deux photos familiales, il se lance dans les écoutes. Pressé comme un enfant avec un nouveau jouet prometteur, les bandes s'enchaînent jusqu’à ce que le contenu de l’une d’entre elles attire son attention. Hal sent dans les sonorités, dans la fréquence, dans les oscillations qui se diffusent dans ses oreilles, une patte intelligente. Hal Hogan retourne aux archives et essaye de retrouver les documents relatifs à l’étude de cette bande. Rien. Pas étonnant quand on sait les kilos d’archives qui ont été rédigés depuis l’ouverture du programme SETI en 1961… une bonne partie a été détruite faute de place, ou tout simplement perdue faute d’organisation.
Hal Hogan reprend donc l’étude de cette bande son comme si elle venait d’être captée par l’immense antenne maintenant inutile qui s'élève au-dessus de sa tête. L’ordinateur accepte sa tâche sans rechigner. Quelques minutes suffisent pour éliminer les parasites, l’usure du temps et les déformations consécutives à la traversée de l’atmosphère terrestre. Puis le son est étudié à l’aide du dernier logiciel disponible pour en déterminer la fréquence, les répétitions de séquences, pour en extraire les régularités caractéristiques produites par une machine.
Le premier résultat de cette étude fait surgir un sourire sur le visage d’Hal. Lui qui n’a pas desserré les dents depuis une semaine, et plus vraiment souri depuis plusieurs années. L’ordinateur affiche un résultat : 1420.4556 Mhz. La fréquence de l’hydrogène a été détectée dans une infime partie du signal ! Tous les scientifiques du SETI connaissent cette valeur par cœur. C’est sur cette fréquence précise que sont envoyés tous les messages de la terre vers l’espace. Ceci pour une raison simple : l’hydrogène est l’élément le plus répandu dans l’univers. Il parait donc évident que si une intelligence existe dans l’univers, elle aura identifié cet élément, donc sa fréquence, et sera ainsi capable de comprendre que le message reçu n’est pas le fruit du hasard mais une tentative volontaire de communication. Depuis la création du programme SETI, des milliers de messages ont été envoyés vers les confins de l’univers avec l’espoir qu’une intelligence extraterrestre puisse en capter un. Car le travail du SETI n’est pas que d’écouter, il est aussi de lancer des bouteilles à l’univers.
Le sourire d’Hal retombe rapidement. Personne à l’époque n’a pu reconnaître la fréquence de l’hydrogène. Les moyens techniques n’étaient pas assez développés. Hal Hogan a peur qu’il soit maintenant trop tard pour pousser plus en avant ses recherches, pour révéler au grand jour la plus belle preuve de vie non terrienne… La guerre est là, réelle, déterminée à continuer ses offensives contre la concrétisation de son rêve d’enfant.
Après quelques minutes de contemplation des mines figées de sa femme et de son fils, Hal Hogan décide de reprendre le travail et de continuer ses recherches, quoi qu’il arrive. Il lance tour à tour les logiciels dont il dispose pour essayer de percer le secret de ce signal. Chacun répond par une série de données qu’Hal se dépêche de disséquer de son œil expert, mais rien ne lui saute au visage. Le signal semble perturbé, beaucoup trop pour qu’il soit possible d’en extraire de l’information. Après une longue journée de travail, Hal s’effondre dans son fauteuil et savoure la fatigue. Peut-être est-ce l’une des dernières fois qu’il ressent l’usure des heures sur son corps, le poids du temps passé à fouiller, à étudier, à réfléchir. Pour la deuxième fois de sa journée, il sourit en direction de sa famille glacée.
Le scientifique oscille sur sa chaise et réfléchit.
Puis une idée lui vient, un réflexe toute bête que tous les jeunes chercheurs ont. L’expérience fait parfois oublier la simplicité… Hal Hogan retourne devant son ordinateur et programme son logiciel de nettoyage pour que celui-ci, en partant de la bande son originale, retire les perturbations correspondantes à 2 traversées de notre atmosphère. La première traversée pour quitter la terre, la seconde pour rejoindre l’antenne du radiotélescope depuis l’espace. Hal attend le résultat avec impatience. Il l’écoute puis le passe dans son analyseur. Celui-ci ne réagit pas. Cette idée simple n’est pas la bonne. Hal se rassoit, déçu, et reprend sa réflexion. Pour ne pas perdre son temps et sûr que son ordinateur n’a pas besoin de souffler, il décide de relancer le traitement pour effacer les perturbations dues à la traversée de 3 atmosphères terrestres, puis de 4. Et l’analyseur travaille.
Un résultat tombe.
Hal reste fixe. Il contemple sa machine : un petit ordinateur portable qui vient de lui fournir un résultat à la hauteur de ses espérances. Il s'approche de l’écran et découvre que le signal qu’il vient de faire étudier est connu de sa machine. Le signal nettoyé de 4 traversées d’atmosphère vient de faire réagir la mémoire de l’ordinateur. Hal se penche et découvre ce que veut lui dire son dernier collègue :
Ce message ressemble à un message du SETI !
L’ordinateur a reconnu partiellement une séquence utilisée par les scientifiques du SETI pour démarrer et conclure les messages envoyés vers le ciel. Ce message capté le 15 août 1977 en provenance de l’espace serait donc un message envoyé par le SETI, qui aurait traversé environ 4 atmosphères de taille et de constitution similaires à celui que possède la terre avant de revenir frapper l’antenne du radiotélescope de Green Bank.
“Il a donc été renvoyé, s’exclame Hal en sautant de sa chaise !”
Une intelligence a capté ce message, sur un autre sol, situé sous une atmosphère comparable à la notre, puis l’a renvoyé vers son lieu d'émission. Voilà ce qui explique les perturbations correspondantes à environ 4 atmosphères. Hal Hogan est comme un enfant. Il a devant les yeux la preuve qu’une intelligence, quelque part dans l’univers, a reconnu, a compris un message terrien et a été capable de le renvoyer à sa source.
Hal Hogan sort en courant de son bureau pour se diriger vers les archives et tenter de retrouver les signaux envoyés vers les étoiles avant 1977. L’intelligence qui a réussi à renvoyer vers la terre un de ces signaux a sûrement dû le modifier avant. Cette modification doit être identifiée. Pour cela, le contenu de l'émission originelle doit être retrouvé.
Au détour d’un couloir, Hal Hogan est stoppé net. Une troupe de militaires face à lui, il ne peut que se jeter face contre terre lorsque les balles commencent à siffler.
A suivre...
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