LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

1420.4556 MHz (chapitre 2/5)

 

 

 

Après-midi du mardi 31 mai 2016. L’utilisation du feu nucléaire sur les territoires de la Russie et des Etats-Unis fait réagir le monde entier. Les pays d’Amérique du sud décident en fin de journée de se joindre aux Etats-Unis. Les chinois et les pays arabes annoncent immédiatement leur soutien à la Russie.

 

“Cessez le feu, hurle un homme caché derrière une rangée de militaires armés jusqu’aux dents ! C’est un civil !”

Hal Hogan est allongé sur le sol, les mains sur la tête. Ses oreilles résonnent de ces rafales d’armes automatiques qui viennent de lui frôler le crâne. L’expérience scientifique, son calme et sa rigueur, ne préparent pas aux cris et aux douleurs de la guerre. Après quelques secondes, un œil fébrile s’ouvre sur une paire de bottes fixe face à lui. Rassuré du calme relatif revenu dans son antre, Hal redresse la tête et s’étonne d’apercevoir une main gantée tendue vers lui. Sans un mot, il la saisit. D’un geste réflexe il passe ses doigts sur sa blouse pour en ôter une hypothétique poussière. Le scientifique est plus grand que le militaire gradé pourtant fièrement dressé devant lui.

“Qu’est-ce que vous faites encore là, Monsieur, demande l’homme en uniforme ?”

Derrière lui, son bataillon ne cesse de tenir en joue la tête pleine de rêveries d’Hal Hogan.

“Je travaille…”

“L’heure n’est plus au travail, il est maintenant temps de partir ! Vous ne savez pas que ce bâtiment a été réquisitionné par l’armée ? Vous n’y avez plus votre place !”

“Ce qui se passe ici n’a rien à voir avec la place qu’a chacun. Si telle était vraiment la question vous seriez en train de vous traîner dehors dans la boue, à faire des pompes ou à vous tirer dessus…”

“Assez d'insolence ! Je vous ordonne de quitter ce bâtiment sur-le-champ ! Etes-vous conscient que votre pays, les Etats-Unis, est en guerre contre la Russie ? Et il ne s’agit pas ici d’une guerre froide. Des troupes ont déjà débarqué en Sibérie et font route vers Moscou ! Le reste du monde se mobilise et commence à prendre parti.”

“Mon fils fait partie de ces troupes, Monsieur !”

“Vous savez donc aussi que tous les pays d’Amérique du sud nous ont ralliés ? Et que la Chine et les pays arabes soutiennent les russes ?”

“Je ne suis qu’un scientifique, je ne peux pas tout savoir…”

Hal Hogan baisse la tête. L’annonce de cette mobilisation qui se mondialise scelle une fois pour toute l’avenir de son radiotélescope. Green Bank n’écoutera plus jamais l’univers et va désormais se consacrer aux échos de la guerre. Sa merveilleuse machine apprendra à oublier la couleur des étoiles pour reconnaître le bruit sauvage et inhumain de l’ogive nucléaire à la recherche d’une cible civile inoffensive. Une larme brouille les yeux d’Hal. Devant son regard passe le visage d’un enfant, la tête pleine de rêves, d’idées capables d’améliorer l’homme. Une sensation d’échec l’assaille.

Il sait pourtant qu’il n’a jamais été aussi proche du but ! Ce signal capté en 1977 est la meilleure piste qu’il n’ait jamais eue. Un homme se cache sous chaque uniforme… un homme qui a un jour été un enfant. Hal Hogan se reprend et tente le tout pour le tout.

“J’ai encore besoin d’un peu de temps.”

“Le temps est une richesse que je n’ai pas, que je ne peux donc pas offrir.”

“Vous savez ce que mes collègues et moi cherchions dans cet endroit ?”

“Tous les américains connaissent le SETI. J’ai suivi vos recherches quand j’étais plus jeune… mais l'heure n’est plus aux rêveries, vous devez quitter cet endroit. C’est maintenant une zone militaire sensible.”

“Je suis sur le point de trouver, Monsieur !”

L’officier se fige. Derrière lui, les fusils sont toujours braqués sur le crâne d’Hal Hogan. Quelques secondes passent pendant lesquelles l'impressionnant caractère du petit militaire se déprécie pour laisser place à un garçon en culotte courte, le regard tourné vers les étoiles. Le cerveau kaki du gradé effectue un voyage dans le passé à une vitesse vertigineuse. L’odeur de la nuit, la couleur du ciel étoilé, le froid courant sur ses jambes nues, le silence des astres en mouvement et ce goût de l’inconnu dans la bouche… Hal en profite.

“J’ai besoin de quelques jours.”

L’officier reprend ses esprits instantanément et rétorque :

“Vous avez jusqu’à demain matin, pas plus !”

Puis il fait signe à sa troupe de le suivre. Les militaires disparaissent en quelques secondes comme un seul homme... avec un seul cerveau. Hal souffle lentement, seul, dans un couloir qu’il a arpenté des milliers de fois avec, à ses côtés, ses collègues en blouse blanche.

“Le kaki n’a jamais été une couleur très prisée par les scientifiques du SETI pense-t-il.”

Hal Hogan ne perd pas une seconde. Il n’a que quelques heures pour collecter un maximum de données sur ce fameux signal : il faut trouver l’envoi initial qui est parti de la terre, mais aussi quel chercheur a capté son retour en 1977 puis l’a étudié. Ce travail est impossible à réaliser en une nuit, mais Hal a l’habitude de se lancer corps et esprit dans des tâches infinies. Il court déjà pour rejoindre les archives. Il sort d’un carton un vieux disque dur contenant des écoutes et des recherches effectuées pendant cette année 1977 et se dépêche de retourner dans son bureau pour lancer la copie des données qu’il contient sur son ordinateur portable. A cette époque, les disques étaient tellement volumineux qu’il fallait avoir de sérieux muscles pour pouvoir les déplacer. Hal Hogan est chétif, mais sa motivation dope tout son corps. La vitesse de copie est lente, comme elle peut l’être avec du matériel datant de la fin des années 70. Pour ne pas perdre le peu de temps qu’il lui reste, Hal Hogan décide de courir aux archives pour préparer les disques suivants à copier. Rapidement, il trouve toutes les archives numériques du SETI depuis son démarrage en 1961. Fier de lui, il remonte dans son bureau, constate que la copie qu’il avait lancée est finie, et court aux archives avec son ordinateur portable sous le bras. Tour à tour, il copie tout ce qu’il trouve. Entre chacune de ses manipulations il fouille les archives de 1977 à la recherche du nom de ce scientifique, de ce chanceux qui a capté le fameux signal revenu d’une planète lointaine, de ce malheureux qui n’a pas su le décrypter et comprendre que cet enregistrement était la réponse d’une intelligence extraterrestre aux sollicitations humaines, à cet homme peut-être encore en vie à qui Hal espère pouvoir présenter la réalité de ce qu’il a réussi à capter ce fameux 15 août 1977.

Un scientifique ne pleure jamais. Il n’est pas là pour faire dans le sentiment. Son rôle est de manipuler des théories, des concepts, d’étudier les réactions du monde face à différents tests et tortures... mais Hal sent que son esprit cherche à étancher le besoin d’humidité de ces archives, de cette pièce au cœur trop sec.

“Si la guerre n’avait pas été déclarée, jamais je n’aurais réécouté cette vieille captation… et maintenant que je l’ai découverte, elle peut être le début de la plus belle preuve de l’existence d’une vie en dehors de notre planète. Cette guerre me prive des outils nécessaires à l’étude et à la parfaite compréhension de son sens et de son but… Si proche, je vois des hommes en armes briser mes recherches et priver le monde de cette découverte capable de raviver l’enfance de chacun des combattants de cette guerre… peut-être pourrait-elle cesser… s’ils savaient ce que je sais, les terriens seraient capables de faire la paix pour mieux s’unir et accueillir leurs semblables !”

Hal Hogan se gifle violemment. Il refuse la fatalité. Jamais il n’a baissé les bras. Les quelques heures qui lui restent doivent être efficacement employées. Le scientifique continue ses copies et fouille les archives à la recherche du nom de l’homme qui a capté le fameux message.

Puis c’est la délivrance. Hal vient de trouver le listing d'août 1977 des captations et des scientifiques affectés à leur étude. Du bout du doigt, il cherche la référence de cette fameuse bande et découvre un nom : Donovan Taylor. Hal lève le regard et s’étonne. Il connaît ce nom. Ce Taylor a participé au lancement du SETI en 1961, mais la suite de sa carrière sous l’antenne du radiotélescope ne revient pas en mémoire d’Hal Hogan… sûrement à cause de son manque de résultat.

“Où est le scientifique ?”

Ce cri résonne dans les couloirs et parvient aux oreilles d’Hal Hogan. Rapidement il débranche la copie en cours et ferme son ordinateur portable. De nombreux disques durs n’ont pas encore été copiés, mais le temps imparti vient d’arriver à son terme.

L’officier fait intrusion dans la salle des archives en poussant une porte qui vient heurter le mur avec violence.

“Vous ne répondez jamais quand on vous appelle ?”

Hal ne répond pas.

“Je vous avais promis une nuit, elle est maintenant finie. Il faut partir ! Un avion est prêt à décoller à un kilomètre d’ici, direction Baltimore, si jamais vous ne savez pas où aller.”

Hal Hogan saisit la balle au bond.

“J’accepte votre proposition. Ma femme, ou plutôt mon ex-femme, je ne sais plus trop, habite Baltimore. Je pourrais la rejoindre.”

“Content que vous coopériez. Prenez vos affaires et rejoignez la jeep garée devant le bâtiment.”

“Je n’ai que cet ordinateur.”

“Vous savez que je ne devrais pas vous le laisser, mais malgré la guerre en cours je respecte votre travail. Je vous le laisse, mais partez vite, il n’y a plus de place pour vous ici. Cet endroit est maintenant un lieu de renseignement hautement stratégique. Les civils y sont interdits.”

“Je pars immédiatement. Si possible, prenez soin de mon antenne…”

Dans un dernier échange de regards, sans un sourire, Hal Hogan quitte la pièce des archives, puis son radiotélescope, pour monter dans une jeep qui démarre sans attendre, direction un aéroport de campagne à une minute de là.

Du hublot de l’avion en vol vers Baltimore, vers une femme avec qui il a vécu de nombreuses années de sa vie, avec qui il a eu un enfant maintenant parti à la guerre... Baltimore... où une femme va sûrement le laisser à la porte de chez elle... Hal Hogan jette un dernier regard vers l’endroit qui a dominé sa vie, qui a su peupler ses rêves et ses heures de veille.

Le radiotélescope n’est plus qu’un point lorsqu’une traînée blanche traverse le ciel, venant de l’ouest. Elle se dirige vers le sol, vers Green Bank. Un énorme champignon atomique s’élève alors dans le ciel. Hal voit un souffle s’étendre autour du point d’impact et raser tout se qui se trouve sur son passage. A la vitesse de l’éclair, un mélange de poussières et de fumée rattrape l’avion. Le pilote cabre l’appareil pour lui faire prendre de l’altitude. La carlingue tremble, Hal s’accroche à son siège. Enfin, le hublot affiche à nouveau le bleu du ciel. Le sol n’est plus qu’un amalgame de poussières.

Hal Hogan serre contre lui son ordinateur portable. Cette machine de quelques kilos garde en elle les derniers souvenirs du programme SETI... de ce projet commencé en 1961 pour qui tant de scientifiques ont travaillé… de cette aventure qui a peut-être, sans le savoir, réussi sa mission : découvrir la preuve d’une vie extraterrestre !

 

A suivre...

 

 

 

 



02/02/2015
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