1420.4556 MHz (chapitre 3/5)
Matinée du mercredi 1er juin 2016. L’utilisation massive de l’arme nucléaire, d’un camp comme de l’autre, précipite les grandes nations, jusque là neutres, dans la guerre. L’Europe se joint aux Etats-Unis. Les anciennes provinces soviétiques s’allient à la Russie.
Hal Hogan ne cesse de penser à sa femme et à son fils pendant le lent trajet qui le mène de Green Bank jusque Baltimore. Tant d’années sacrifiées dans un projet, à en délaisser sa famille, pour finalement voir la totalité de son travail transformé en milliers de fines poussières par la bêtise de quelques dirigeants. Les heures de ses collègues, les années de ses pairs, les espoirs et les rêves dont ils étaient tous porteurs au nom de leur nation viennent de s'effondrer comme tombe un château de cartes sous les doigts irrespectueux d’un enfant désinvolte. Que de gâchis… que de vies passées et futures perdues en l’espace de quelques secondes !
Face à la porte, le doigt proche de la sonnette, Hal ne peut s’empêcher d’hésiter en imaginant la réaction de son ex-femme lorsqu’elle découvrira le père de son enfant debout, timide et faible, face à elle. Il ne craint pas les reproches qui vont lui être jetés à la figure, il n’a pas peur d’assumer l’abandon de sa famille… il reste là, dans l'expectative, incapable de trouver une phrase digne d’intérêt pour commencer un semblant de discussion.
Puis il tape. Pas trop fort, comme taperait un enfant gêné à la recherche de l’amour indispensable d’une autorité féminine.
La porte s’ouvre. Les mots sont inutiles. Hal sent le corps de sa femme, ce corps qu’il a si souvent serré contre lui, s’effondrer dans ses bras. Une minute câline passe... en une seconde. Puis elle relève la tête.
“Comment as-tu su ?”
Hal fronce les sourcils. Le regard de sa femme lui lance une information qu’il refuse de comprendre.
“De quoi parles-tu ?”
Un silence glace soudainement les prémices de cette relation ressuscitée. Puis Madame Hogan plante son regard dans celui de son mari, lui serre très fort les mains et lance :
“Les russes… les russes ont tué notre fils !”
Autour du radiotélescope détruit, ce qu’il reste du monde s'effondre alors. Les montagnes glissent dans un grand fracas vers les océans. Les plaines se tordent sous l’effet d’un vent froid et hostile à toute forme de vie. Chaque arbre plie, chaque animal crie à la mort. Hal Hogan vient de comprendre qu’il aimait son fils plus que les étoiles. Il pensait avoir le temps… ce temps, maître de tout, choisit parfois arbitrairement d’abréger des existences et d’en prolonger d’autres au-delà du raisonnable.
“Rentrons !”
Hal Hogan pousse sa femme par l’épaule et la force à pénétrer dans la chaleur artificielle de sa maison. A petits pas, du bout des yeux, Hal découvre une multitude de photographies. Son fils très jeune, enfant, adolescent, puis au collège et finalement militaire quelques jours après son intégration, quelques heures avant son départ pour les terres gelées de Sibérie. Toute une vie d’homme résumée en quelques pixels sur du papier glacé.
“Qu’est-ce qu’on fait maintenant, demande Madame Hogan ?”
“J’ai un travail à finir, répond Hal d’une voix sûre, comme pour s’auto-convaincre.”
Il se lève alors à la recherche de son ordinateur puis le place ouvert devant les yeux de sa femme.
“Je vais te faire écouter quelque chose.”
“Même après avoir appris la mort de ton fils tu ne penses qu’à ton travail et à tes petits hommes verts ! Tu me dégoûtes, Hal !”
“Je dois le faire pour… notre fils. Je n’ai jamais été si proche… je sais qu’il respectait mon travail et qu’il croyait en moi… il pensait que tout ce temps passé loin de lui porterait un jour ses fruits, que je découvrirais ceux que tu appelles les petits hommes verts… j’ai presque trouvé, je dois continuer pour lui !”
“Si tu penses que cela peut servir… au moins à calmer ta culpabilité…”
Et Madame Hogan quitte d’un pas lourd le salon pour sa chambre. Une porte claque derrière elle.
Hal Hogan ne peut pas s’empêcher de réécouter ce message capté le 15 août 1977. Il doit aller au bout de ses recherches, au moins jusqu’au cul de sac où les archives en sa possession pourront lui permettre de se rendre. Il se lance alors dans un vaste travail pour débusquer des correspondances entre les chercheurs, entre les écoutes, entre les études de chacun… avec l’espoir, simplement, de comprendre.
Les notes de Donovan Taylor finissent pas être dénichées dans un fond de dossier. Hal se jette dessus et découvre le travail du chercheur sur ce fameux signal. Donovan Taylor avait bien compris que cette captation venue de l’espace avait un intérêt certain mais n’a pas cherché dans la bonne direction, impossible avec son orientation d’en extirper le véritable sens. Ce Donovan n’a pas réussi à nettoyer sa captation des perturbations liées à la traversée de 4 atmosphères, donc à comprendre qu’elle était une réponse à un signal émis par le SETI lui-même. D’un coup, Hal Hogan se redresse et se tape sur le front, comme pour se dire “que j’ai été bête de ne pas y avoir pensé plus tôt !”. Il ouvre internet et lance une recherche sur ce fameux Donovan Taylor. Des réponses toutes plus loufoques les unes que les autres déferlent devant ses yeux. La magie de ce réseau mondial : la vitesse additionnée à la trop grande richesse d’informations. Hal fouille, page après page, site après site, et finit par trouver un article de journal consacré au “Scientifique Donovan Taylor : chercheur au SETI”. Il s’y plonge... et ressort rapidement glacé. L’article n’a pas été écrit pour expliquer le travail d’un scientifique brillant mais pour faire l’éloge funèbre d’un homme prometteur mort trop tôt. Hal cherche une date et trouve celle de décembre 1977… Donovan Taylor est mort 4 mois après avoir découvert ce mystérieux signal. Cause de la mort : accident de moto. Une voiture lui aurait refusé la priorité. Un banal drame de la route.
Hal retourne sur les notes qu’il a découvertes dans les archives du SETI et fouille les recherches plus anciennes de Donovan Taylor. Il y trouve à chaque fois des débuts de pistes, des idées très simples comme celles qui servent à déboucher sur les concepts intéressants, mais ne trouve pas ses concepts finaux. Comme le travail d’un enfant, qui passerait d’une tâche à une autre sans prendre le temps de n’en finir aucune. Hal se pose des questions et ne trouve qu’une unique explication à ces recherches incomplètes : les notes qu'il a sous les yeux ont été partiellement effacées. Une nouvelle fois, le travail des scientifiques du SETI a été détruit, volontairement ou par dommage collatéral… Hal Hogan ne parvient pas à s’imaginer que la mort de Donovan Taylor ainsi que l’effacement de son travail soit liés. Les théories du complot sont à la mode, mais le hasard permet souvent d’expliquer simplement ces enchaînements de faits. Le complot moderne n’est qu’un ensemble de coïncidences scénarisées.
Hal Hogan n’en reste pas là. Puisque cette captation de 1977 est une réponse, il faut trouver la question qui a été envoyée dans l’espace par le SETI. Il lance son ordinateur à la recherche du signal envoyé de la terre. Sa machine tourne pendant de longues heures, compare son cher message tombé du ciel à toutes les émissions du radiotélescope disponibles dans son disque dur. L’après-midi se passe, lentement. Hal en profite pour déambuler devant les photos de son fils, devant celles où celui-ci accompagne sa mère. Il fait des tours et des tours de salon avant de découvrir un cadre posé sur le rebord de la cheminée, derrière le calendrier des éboueurs. Une famille apparaît. Une famille qu’Hal a bien connue à l’époque où il consacrait du temps à sa femme et à ce petit bébé qu’il regarde maintenant dormir paisiblement dans les bras de sa mère. Une époque trop vite passée à cause du SETI. Cadeau du ciel mais défi insurmontable : un fils avait rendu Hal Hogan peu sûr de lui dans ce rôle de père où il ne contrôlait rien. Comme hypnotisé par cette boule d’amour criant tout au long de la journée qu’il fallait que quelqu’un s’occupe de lui, ce quelqu’un réclamé étant en priorité sa maman. Hal détourne les yeux pour les poser sur la porte de la chambre de sa femme. Il s’approche. Toujours fermée, derrière doit être en pleurs la femme qu’il aime. Après un mouvement calme du poignet, Hal s’avance et découvre un amour allongé sur son lit, plongé dans un sommeil profond.
“Depuis quand sait-elle que son fils est mort ? Depuis quand n’a-t-elle pas dormi ?”
Enfin elle se repose. La présence de son mari dans le salon, ses yeux ébahis par chacune des photos de son fils… enfin quelqu’un a pris sa place dans ce travail constant d’admiration d’une progéniture partie trop tôt.
Un parent ne devrait jamais survivre à son enfant.
Les conclusions incertaines d’Hal Hogan sont soudain stoppées net par le cri calme d’un ordinateur qui appelle son propriétaire... “Euréka !”. Il se précipite. Sur l’écran s’affiche une correspondance entre le message capté le 15 août 1977 et un signal envoyé du SETI en 1961 par un certains... Donovan Taylor !
“Ca alors ! Il avait capté en 1977 le retour sur terre d’un message qu’il avait lui-même envoyé en 1961, lors des toutes premières activités du SETI… Comment n’a-t-il pas su reconnaître son message ? Malgré les perturbations… si j’avais capté en 1977 un signal de cette qualité, j’aurais sans aucun doute poussé mes recherches jusqu’à percer ses secrets, et si en plus j’avais été son créateur, j’aurais forcement fini par le reconnaître…”
Puis Hal Hogan s'intéresse à la destination visée par l'émission de 1961 : la constellation de la Grue. Le sang du scientifique ne fait qu’un tour ! Il repense immédiatement à “Gliese 832 c”, une exoplanète dont la découverte en juin 2014 avait fait beaucoup de bruit. Une rapide recherche sur internet le conforte dans son idée… “Gliese 832 c” est le membre le plus proche de la Terre dans le catalogue des exoplanètes habitables... elle se trouve dans la constellation de la Grue !
Hal est dépassé par ses découvertes. Il s’assoit, repense aux notes disparues, à la mort accidentelle de ce scientifique, et cherche à échafauder une théorie qui permettrait de rendre l’idée du complot totalement ridicule… Hal Hogan cherche, mais ne trouve pas…
A suivre...
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