LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Howahkan (acte 2, part 5)

 

 

La foule fut congédiée. Chacun repartit avec ses questions. La folie du maire fut évoquée tout autant que son incapacité à faire cesser le déchaînement de violence touchant le village. Les habitants voulaient des résultats rapides. La lenteur de l’autorité avait de quoi augmenter la haine contre les puissants et le désir de passer outre les incapables qui réclament le pouvoir mais qui une fois en place sont incapables de manier cet art pour en extraire la justice et la paix.

“Les fainéants sont au pouvoir. Les pragmatiques sont à l’œuvre.”

Les discussions n’en étaient plus. Chaque phrase était composée d’ordres et de menaces. Les tonalités dispersaient dans les têtes un tourbillon dissolvant la morale et la présomption d’innocence. La masse était saturée de pression, capable de s’enflammer à la première étincelle.

Encore sonné de ce qui venait de se passer, Mr Grolet tournait sur lui-même dans sa mairie, comptant et recomptant les éléments physiques concrets sur lesquels il pouvait se baser pour reposer son esprit vacillant. Proche de l’étourdissement, la voix du puissant chaman résonnait encore d’une oreille à l’autre. Elle bouclait, puis s’éloignait, pour revenir encore plus forte. L’agression ne cessait pas. Elle faisait mal psychiquement. Mr Grolet avait toujours refusé d’admettre que son propre fils avait un problème.

Tout petit déjà, il l’avait surpris arrachant les ailes d’un papillon et posant le corps larvaire au cœur d’une toile d’araignée. Chaque enfant joue à torturer des animaux pendant une période de sa vie. Combien de fourmis sont mortes noyées ? Combien d’araignées ont perdu leurs pattes avant d’être exposée en plein soleil, leurs mouvements décidés par la volonté du vent ? Mais le fils Grolet ne faisait pas cela par expérience. Il faisait évoluer jour après jour ses actes de torture. Un sourire aux lèvres, il jouissait en imaginant les prochaines souffrances qu’il pourrait infliger et se délectait lors de leurs réalisations. Rapidement, les insectes ne furent plus suffisants. Les chats, les chiens, les oiseaux… et même une marmotte. Pendant de nombreux jours, le fils Grolet avait guetté l’animal siffleur près de son terrier. Chaque jour, il s’approchait de plus en plus. Son père l’avait questionné sur ce désir d’apprivoiser un animal aussi farouche.

- Je ne désire pas l’apprivoiser, avait rigolé le fils Grolet. Je veux l’attraper pour lui couper les pattes et voir comment elle va réagir.

L’enfant avait dix ans lorsqu’il prononça cette phrase. Le père Grolet en était resté bouche bée. Le besoin d’expérience et de découverte s’était transformé en sadisme. Une passion, une fascination pour la souffrance s’était développée dans cet enfant.

Cinq ans plus tard, cet être fait de chair et de sang... cet enfant élevé dans l’amour d’une mère et d’un père... ce jeune homme en pleine adolescence avait franchi une étape supplémentaire. Les souffrances physiques n’étaient plus suffisantes. Il fallait que la victime pense. Il fallait qu’elle soit capable d’imaginer le trait électrique qui parcourait ses nerfs quand le choc aurait lieu. Il fallait qu’elle ait peur à l’idée qu’un second coup puisse être assené. La souffrance était devenue un jeu. Avilir la machine humaine. Rendre inerte une œuvre si parfaite et si évoluée. Faire naître en l’autre un sentiment si fort que son cerveau doive se borner à n’être qu’une machine uniquement capable de réflexes.

Le maire Grolet s’était posé des questions. Il avait douté... restant persuadé que son sang ne pouvait pas être capable de telles monstruosités. Il avait eu tort. Maintenant, il savait. Le chaman avait supprimé les derniers doutes. Son fils était bien un violeur et par conséquent le seul responsable de la mort des jeunes filles. S’il devait avoir lieu, le jugement des hommes ne pourrait pas être clément. La mort serait sans aucun doute la sentence pour cet adolescent. Une mort pour en racheter d’autres. Une forme de vengeance offerte aux familles pour essayer de faciliter le deuil.

Mr Grolet s‘inquiéta rapidement de ce qui pourrait lui arriver au titre de maire du village. Sa complicité serait évoquée et sa tête serait, elle aussi, mise en jeu. Pour protéger son fils, il avait sacrifié les enfants du village qu’il était censé protéger. Il pourrait peut être sauver sa vie avec un peu de dextérité oratoire mais n'échapperait pas à la prison. Cette seule pensée lui fit froid dans le dos. Dès son accession à la mairie, il avait durci les conditions de détention. Des cellules minuscules sans fenêtre. Une sortie par semaine... pour aller à la douche. L’eau n’était jamais chaude, même l’hiver. La nourriture se résumait à du pain et de l’eau. Personne n’a jamais occupé très longtemps les quelques cellules du village. Tout était fait pour faciliter le suicide des prisonniers. Le maire Grolet avait justifié cette politique en expliquant que l’argent était plus utile dans les écoles quand dans l’entretien de sous-hommes incapables de respecter la vie en communauté. Tous avaient applaudi… ne réfléchissant pas aux conséquences lointaines. Les erreurs de jugement, les coups de folie, les légitimités incapables à prouver avaient fait s’aligner dans le cimetière du village des tombes portant injustement l’inscription :

“Indigne d’une identité. Mort de ses crimes.”

Pas de date. Pas de nom. Pas de photo. Il était même interdit de fleurir ces tombes ou de déambuler dans l’allée créée par leur alignement. Les sépultures n’étaient là que pour offrir à ces humains ce qu’aucun homme ne peut retirer à un autre : le droit de se présenter devant son créateur et de se faire juger, une fois encore.

Le maire Grolet avait maintenant peur que ses lois et sa justice ne lui tombent sur les os. Imaginant le faible espoir de survivre à une peine de prison infernale, il se vit fuir le village, quitter la vallée et s’en aller vers des lieux lointains où il faudrait recommencer une vie. Son âge déjà bien avancé lui fit renoncer à projeter son esprit dans un hypothétique avenir sur une autre terre. Ce village était son village. Il en était le maire ! Son fils ne devait pas souffrir. Un bouc émissaire devait être trouvé et désigné à la foule réclamant de voir couler le sang de la vengeance. Inutile de chercher trop loin. Devant sa fenêtre, Mr Grolet levait la tête vers le col des Chamans.

 

A suivre...

 

 

 

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15/05/2014
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