LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Fête for haine (Deuxième partie)

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                Au milieu d'un décor de fête foraine sans couleur ni musique, le jeune Martin est figé face à un loup géant au pelage noir qui le fixe de ses iris sombres. Le vent froid parcourant la peau du garçon ne le fait pas trembler. Tout son petit corps est subjugué par la présence de cet animal, par la transmutation de ce lieu de fête, par l'absence d'humanité ambiante. La civilisation n'est plus. Il est seul face à une nature forte et féroce.

                Sans réfléchir, Martin recule son pied droit, puis transfert le poids de son corps sur ce nouveau point d'appui. Le pied gauche ainsi libéré recule à son tour. Ces cinquante centimètres de gagnés face à l'animal sont réduits à néant quand le loup géant, sentant sa proie s'éloigner, avance d'un mètre en un unique mouvement fulgurant.

 

                Le réflexe persiste seul quand la réflexion est noyée sous l'émotion. Dans l'attente de l'élément déclencheur, tous les muscles de Martin se crispent d'angoisse et de froid.

 

                Soudain, le loup géant ouvre ses babines et laisse apparaître des crocs acérés comme des lames. La blancheur de ces armes détonne sur le fond noir du pelage de l'animal sauvage. Desserrant légèrement les dents, un grognement traverse l'espace, se faufile de droite et de gauche porté par le vent glacial et déchire le silence aussi facilement que les tympans de Martin. D'un bond, le jeune garçon fait volte-face et se met à courir en direction du coin de cette allée formée d'un alignement de manèges et de stands déserts. Poussant de toutes ses forces sur ses jambes, Martin ne peut s'empêcher, après quelques mètres, de se retourner. Le loup géant s'est mis à courir. Une langue blanche et rugueuse pend de sa gueule. Tout son corps n'est que muscles et nerfs en action. Ses longues pattes fournissent à l'animal la puissance nécessaire pour faire diminuer à chaque seconde la distance le séparant de sa proie. Arrivé au coin de l'allée, Martin bifurque et, connaissant le lieu par cœur, s'engage dans le premier manège sur sa gauche. Le palais des glaces. Un labyrinthe de vitres où il est facile de se retrouver bloqué si la réflexion ne prend pas le dessus sur l'anxiété. Martin se jette dans le dédale et franchit les premiers mètres rapidement pour s'éloigner au plus vite de l'entrée. Le loup géant pénètre dans le manège, butte contre une première vitre. Toute la structure tremble. Son museau souffle et cherche à se rapprocher de sa proie. Il tape, grogne, bouscule ce qui gène sa progression. Quelques vitres tombent et offrent un passage libre. Martin s'enfonce alors plus en avant dans le labyrinthe espérant que la distance puisse être gardienne de son salut. Les débris coupant ne tardent pas à blesser les pattes du loup géant qui, voyant sa cible s'éloigner dans cet enfer de verre, préfère reculer jusqu’à ce que le sol redevienne doux comme la terre. De ses deux yeux sombres, l'animal contemple Martin dépasser encore quelques vitres puis se mettre en boule sur le sol.

 

                Sauvé, mais pour combien de temps ? L'animal sauvage n'est pas loin. Il ne cessera pas la traque aussi facilement. Quel peut être l'avenir d'un enfant seul, piégé dans un monde qu'il ne connait plus ? Piégé dans le palais des glaces désert d'une fête foraine sans joie ?

 

                Soudain, une voix détonne dans le manège :

- Alors mon petit, tu as peur de ta propre imagination ?

                Le rire qui s'en suit est humain mais n'a rien de vraiment rassurant. Martin lève les yeux. Il ne discerne rien à part le loup géant faisant les cent pas.

- Lève-toi espèce de trouillard ! Affronte ce que tu offres aux autres !

                Martin se dresse difficilement sur ses deux jambes et ose d'une voie tremblante :

- Qui est là ? Montrez-vous...

                Mais un grognement du loup géant le fait immédiatement retomber sur le sol.

- Retourne-toi petit, tout petit enfant !

                D'un geste rapide de la tête, Martin obéit. Ses yeux sont inondés de couleurs. Celles bariolées d'un pantalon de clown. Levant la tête, le jeune garçon ne peut que reculer de quelques mètres jusqu'à butter contre une vitre. Devant lui se dresse le clown de sa petite sœur. Ce doudou en peluche fait maintenant la taille d'un adulte et rigole face à lui.

- Ne me dis pas que tu as peur, petit ! Tout ce que tu as devant les yeux vient de ton imagination. Le loup dehors cherche à dévorer des êtres vivants et moi, le clown psychopathe, je cherche des enfants à démembrer ! Veux-tu être de ceux là ?

- Vous n'existez pas, se reprend Martin. Les peluches ne peuvent pas prendre vie et s'attaquer à des enfants !

- Malheureusement ta sœur est encore jeune et elle croit ce que tu lui racontes. C'est dans son imagination que tu te trouves en ce moment !

                Martin est désemparé. Ce qu'il est en train de vivre est bien trop absurde pour être réel. Mais alors, pourquoi avoir peur ?

- Je pense qu'après t'avoir démembré, ajoute le clown en exhibant une feuille de boucher, je vais donner tes restes à mon ami le loup qui se fera une joie de nettoyer chacun de tes os !

                Avec une violence non retenue, le clown se jette sur Martin. Il lève haut dans le ciel son arme et l'abat en direction de l'articulation du coude gauche du jeune garçon. Dans un sursaut vital, le bras de Martin bouge de quelques centimètres et parvient à éviter le coup. Son t-shirt est pourtant coupé et un filé de sang s'écoule sur le sol du manège. L'arme est si profondément enfoncée dans le sol que le clown a besoin de ses deux mains pour l'en sortir. Martin en profite pour le repousser et s'enfoncer dans le dédale du palais des glaces qu'il connait comme sa poche.

                Ayant récupéré son arme, le clown se redresse et crie :

- Pourquoi ne peux-tu assumer le monde que tu offres à ta petite sœur ? Voilà ce que vit cet enfant quand tu lui mens pour ton bon plaisir ! Assume le mal que tu fais !

                Martin n'écoute pas. Il fuit vers la sortie du manège. Par chance, le loup géant garde encore l'entrée du labyrinthe située dans l'allée parallèle. Le clown, lui, se bat contre les vitres.

                S'extrayant dans une allée déserte, une pensée ne peut s'empêcher de se faufiler dans l'esprit de Martin.

                "Si ce monde est celui que j'offre à ma sœur, elle doit donc y demeurer elle aussi ! Je dois la retrouver !"

                Prenant ses jambes à son cou, Martin décide de remonter toutes les allées de la fête foraine en faisant bien attention de toujours s'éloigner du palais des glaces. Rapidement il débouche sur le cœur du parc d'attraction, là où se trouve la grande roue. Au pied, il distingue une petite fille. La distance et le manque de couleur ne lui permettent pas de l'identifier avec certitude mais sa logique le pousse à croire que ce ne peut être que Chloé, sa petite sœur. Après quelques mètres parcourus à pleine vitesse, un ordre crié parvient aux oreilles de Martin :

- Fonce le loup, attrape ce vilain garçon qui tente d'échapper à ses créations !

                Sans cesser de courir, Martin se retourne et voit le clown le désigner du doigt tandis que le loup géant s'élance dans sa direction. L'image de sa petite sœur décuple la force de Martin. Au pied de la roue, il la voit monter dans une des nacelles qui instantanément décolle dans les airs. Martin accélère, saute les barrières délimitant les files d'attente et s'élance de tout son long pour attraper la balustrade de cette nacelle qui envole sa sœur. Soudain, les crocs du loup géant se plante dans la semelle d'une de ses chaussures. Mais la force d'entrainement de la roue est plus forte et soulève Martin du sol laissant au loup géant l'offrande d'une chaussure.

                Une fois en sécurité dans la nacelle, Martin fixe sa petite sœur. Elle a des larmes dans les yeux. 

                Au pied de la grande roue, le clown, sa feuille de boucher à la main, vient de rejoindre le loup géant.

 

A SUIVRE...

 

 



08/01/2014
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