Manu, 1ère partie.
Ce matin là, Manu a mal au cou. Une nuit de repos n’a pas suffi à guérir son torticolis. Se frottant la nuque, il lance le mythique 101 Proof. Le son résonne dans toute la maison. Les pièces non meublées et le désert affectif de sa vie renvoient les riffs encore plus incisifs qu’ils ne le sont en sortie d’enceinte. Guérir le mal par le mal… Manu s’y essaye. Après trois rotations de son crâne autour de ses épaules au rythme du métal, il s’arrête, se masse la nuque et sent la douleur plus lourde encore. Manu souffle… et en profite pour faire refroidir son café… qu’il boit d’une traite pour ne pas être en retard.
Devant la porte qui le sépare du monde extérieur, Manu s’arrête. Son mal de cou le torture toujours autant. Des flashs lui reviennent. Les origines de son mal. Le pourquoi de sa douleur physique, les raisons de sa douleur mentale.
Are you talking to me ?
La voix de Phil le fait réagir. Dans sa tête revient cette ultime humiliation. Encore un collègue qui s’est cru plus malin, plus intelligent et qui n’a pas hésité à l’enfoncer pour une erreur dont il n’était pas responsable. “Enfoncer” est le bon terme. Comment mieux qualifier le déchaînement d’insultes, les simulations de gestes violents, le plaisir malsain de cet homme à en rajouter pour que sa victime s’enfonce plus bas que terre. Le sadisme est humain, et il aime s’acharner sur les faibles.
Mais Manu n’est pas faible ! Il le parait seulement. Attiser un incendie n’a aucun sens pour lui. Ajouter des arguments sur des arguments, renchérir sur de la mauvaise foi, faire de grands gestes comme si l’air pouvait y être pour quelque chose… Manu préfère se taire et laisser couler. Comme un enfant qui ne veut pas rivaliser avec son père, il va baisser la tête et attendre que l’orage passe. Tout sera oublié rapidement puisqu’il n’est coupable de rien. Reste au fil du temps ce maudit mal de cou qui ne s’efface pas. Il est là depuis tant d’années… et il s’accentue de jours en jours. Il est tellement plaisant de taper sur un infirme. La faiblesse appelle la bêtise qui se concrétise surtout dans la violence verbale.
Si le con pouvait se rendre compte de sa bêtise, il ne serait plus con…
Manu ne peut sortir de chez lui avec ce satané mal de cou. Il se masse encore et encore. Pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi ne pas faire comme d’habitude et affronter la vie en pensant à la sérénité de la soirée à venir ? Aujourd’hui, il ne peut plus.
5 minutes alone…
...lui ont suffi, ce matin, à se redresser. Manu n’en peut plus d’avoir mal. Il lève la tête et sort de chez lui d’un pas assuré, en direction d’un monde qui ne le blâmera plus !
Le jour ne s’est pas encore levé. Une pluie fine tombe sur le pare-brise d’une vieille guimbarde sans valeur. A l’intérieur, Manu sourit, un riff de Dimebag dans les oreilles. La distorsion claque comme une estime de soi se lève au milieu d’un monde d’oppressions.
Arrivé sur le parking de son entreprise, Manu se gare sur une des places les plus proches de l’entrée. La pluie tombe. Les petits chefs n’auront qu’à être mouillés aujourd’hui. A peine sorti de sa voiture, une grosse berline noire s’arrête à sa hauteur.
“Hé le nul, vire ta caisse d’ici et va te garer au fond du parking !”
Manu lève la tête et reconnaît le visage d’un chef d’atelier sans envergure ni mérite. Il le fixe dans les yeux et lève bien haut un majeur dans sa direction. La scène dure une seconde. Manu tourne le dos à l’air ahuri de ce collège et se dirige vers l’entrée de l’entreprise. Une fois dans son bureau, il voit les vêtements de trois de ses collègues accrochés au porte-manteau. Un collègue manque. D’habitude, faute de place, il pose sa veste à l'arrière de sa chaise, ce qui diffuse l’eau qu’elle contient sur le dossier. Une garantie d’avoir le dos trempé pour toute la journée. Aujourd’hui, Manu n’a pas envie de subir les inconforts de la pluie à l’intérieur de son bureau. Il accroche sa veste au dernier porte-manteau disponible.
Ses trois collègues entrent alors, des cafés à la main. Sans dire bonjour, chacun ignore Manu tout en continuant de parler de la soirée qu’ils ont chacun passé devant TF1. Manu n’écoute pas. Il a essayé, une fois, de regarder pendant plusieurs heures cet écran manipulateur ramolisseur de cerveaux. Il s’était senti vidé après ça, comme un mort égyptien à qui l’on retire le cerveau sans toucher à la boite crânienne. Plus jamais ! Tant pis, il n’aurait jamais aucune conversation avec ses collègues.
Entre le dernier des collègues. Sans un bonjour (ce mot doit être interdit par le règlement intérieur), il pointe son doigt vers la veste de Manu et lance :
“Tu peux retirer ta veste ? C’est mon porte-manteau.”
Manu lève la tête. Il sent son cou revivre de ce mouvement. Les bienfaits de se tenir droit, de pouvoir regarder les autres en face. Un sourire est lancé à son collègue avant la répartie :
“Ta chaise n’a pas de dossier ?”
Face au silence en réponse à sa question, Manu baisse à nouveau le regard vers son écran et continue de lire ses mails.
“Il se fout de ma gueule le minable aujourd’hui, lance le collègue au porte-manteau amputé ?”
Et d’un geste il arrache la veste de Manu et la lui jette au visage. Des gouttes d’eau ruissellent sur ses vêtements secs. D’un geste lent, Manu tend le bras, attrape sa veste par le col, se lève et se dirige vers l’objet de tous les désirs. Son collègue n’a pas bougé. Son vêtement humide à bout de bras, la réaction de Manu lui a coupé le support sous la main. Manu repositionne sa veste sur le porte-manteau et place son regard à quelques centimètres des yeux de son agresseur. Le silence est complet. La scène a trois spectateurs qui refusent de prendre parti. D’un geste lent, Manu sort son couteau suisse, ouvre la grande lame et la plante dans le vêtement mouillé de son collègue.
“Tiens le bien fermement, ordonne Manu gentiment”.
...avant de faire descendre la lame le long du dos du vêtement. Une entaille de 30cm est maintenant bien visible. Manu part de rasseoir et reprend la lecture de ses mails. Dans son bureau, tous se taisent et se mettent lentement au travail avec un frémissement sur la peau.
A suivre...
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