LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Le Chini : ou l'aventure dont il faut se remettre ! Troisième jour.

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3ème jour : 20/10/14, port de Lézardrieux.

 

Six heures du matin, le même réveil que le matin précédent se fait entendre. Cette fois, Olivier ne sera pas blâmé. La journée va être longue et tout l’”équipage” (que je suis triste de ne pas pouvoir utiliser ce terme en toute sincérité !) est d’accord pour se lever tôt.

Les amarres sont larguées, une sensation de plaisir flotte enfin sur les visages. Le vent dans les cheveux, le cœur rythmé par la houle, la liberté tente de se frayer un chemin à l’assaut des esprits.

Christophe reste fidèle à sa table à carte. Multipliant les allers-retours entre le carré et le pont à la recherche de points de repère, il jubile enfin d’avoir défini un cap. Pour faciliter la compréhension de tous, il se lance dans une explication des plus florissantes. L’idée est de trouver un alignement de deux objets terrestres et de laisser le bateau avancer dans cet alignement.

- Tu vois le caillou là-bas, dit Christophe à Olivier ?

- Oui, répond celui-ci sans douter.

Elodie et Vincent scrutent le paysage et contemplent une côte rocheuse à perte de vue.

- Après tu as des arbres, continue Christophe.

- Oui, se réjouit Olivier. Il est content d’être le seul à comprendre ce que dit le chef de bord.

Elodie et Vincent ne cherchent plus et se regardent, un sourire discret aux lèvres. La scène est digne d’un film comique à petit budget.

- Et là tu as une maison, et puis un sommet, renchérit le chef de bord ?

Preuve que même la plus basse des créatures peut surprendre, Olivier répond :

- Là, je ne vois plus…

Le rire latent entre Elodie et Vincent se transforme en grand sourire. Cela ne semble pas plaire aux deux élites. Serait-il possible que deux personnes d’un aussi faible niveau se permettent de se moquer des leaders autoproclamés ? L’ambiance est froide, autant que le vent qui se fraye un chemin entre des milliers de cailloux et d’arbres sur la côte. Le ridicule ne tue pas mais... il dégrade beaucoup ! Rendons quand même hommage à Olivier qui a eu le courage d’avouer qu’il n’avait pas trouvé l’alignement plutôt que de nous emmener sur les rochers…

Pendant que le chef de bord consulte ses cartes dans le carré, Olivier en profite pour s’allumer discrètement une cigarette sur le pont. Elodie est à la proue mais sent la fumée lui caresser les narines. Immédiatement la quinte de toux démarre, violente, presque surjouée. Christophe sort rapidement et fait de nouvelles remontrances à Olivier. La cigarette à la mer, Elodie part s’isoler dans sa couchette. Elle n’en sortira qu’une fois dans l’après-midi pour aller vomir. La houle s’est levée, des creux de deux mètres se forment autour du bateau. L’estomac de Vincent ne peut lui non plus résister à l’appel des profondeurs. La journée se passe difficilement. Christophe près de sa table à carte, Olivier frustré de ne pouvoir fumer se venge sur la nourriture. Œufs à la poêle, tartines de divers fromages, cafés… tout y passe. Pendant qu’Elodie reste malade dans sa cabine et que Vincent s’accroche de toutes ses forces à un winch pour limiter au mieux les mouvements de son appareil digestif.

- Mâche un chewing-gum, conseille Olivier à Vincent. Ca fait passer le mal de mer.

- C’est pour ça que les vaches n’ont jamais le mal de mer, réplique Vincent !

Olivier affiche un léger sourire. Une éclaircie de quelques secondes dans cette ambiance bouchée.

Le cap est clair, la route et le port d’arrivée bien définis... quand tout à coup le chef de bord sort sur le pont et annonce :

- Je me suis trompé, il faut changer de destination ! Le port prévu n’est accessible que par une écluse et si nous y entrons, nous ne pourrons pas en ressortir avant mercredi après-midi !

On est lundi, premier vrai jour de navigation. La journée de mardi est d’ores et déjà perdue à cause d’une tempête annoncée. Personne ne veut perdre une demi-journée de navigation supplémentaire à cause d’une écluse. Ni une ni deux, un nouveau cap est défini, le bateau est alors renvoyé sur ses pas pour se diriger vers une rivière banale mais plus facilement accessible. Il faut se protéger de la tempête du lendemain.

Avant dernière sensation de la journée, la découverte qu’un pare-battage a disparu… “il a dû tomber à l’eau, annonce Olivier judicieusement…”. Rien de grave mais il va falloir en racheter un. Une nouvelle fois, le chef de bord n’est pas content.

Près pour la dernière sensation du jour ? La manœuvre d’accostage. Il est prévu qu’un “équipier” (mon dieu ce mot…) saute par-dessus le bastingage pour aller accrocher les amarres du bateau dans les taquets du ponton. Olivier saute, le bateau toujours en mouvement, mais sans les amarres. Tout le monde se prépare à les lui lancer mais le belge ne s’arrête pas et marche rapidement vers la terre ferme, laissant le reste de l’“équipage” se débrouiller dans la surprise. Son attitude sera rapidement comprise : en manque de cigarette, il avait forcement une priorité plus forte que celle d’amarrer le bateau !

Se pensant indispensable, après avoir fumé quelques cigarettes, Olivier part à la recherche d’un magasin ouvert pour acheter un pare-battage de remplacement. Il est déjà tard et le magasin du port est fermé. Le sous-chef qui rêve de devenir chef à la place du chef semble oublier qu’aucun départ n’est prévu le lendemain à cause de la tempête… l’urgence de la soirée est malgré tout satisfaite après de longues recherches. Je vais casser tout de suite le suspens : le lendemain, le magasin du port situé à une centaine de mètres du bateau sera bien ouvert…

 

3ème nuit : du 20/10/14 au 21/10/14, port de Tréguier.

 

23h, Christophe sent la fatigue le titiller. Il demande gentiment à Elodie et Vincent s’ils peuvent stopper leur partie de cartes qui se déroule sur la table du carré (unique table du bateau). Pas de problème, chacun va donc se coucher… mais à 23h45, alors qu’Elodie et Vincent sont couchés et essayent de dormir, le chef de bord et le sous-chef discutent encore… de vêtements récemment mis au point capables de lutter contre le mal de mer… Vincent les rappelle à l’ordre calmement.

- Vous nous avez demandé de cesser notre partie de cartes pour pouvoir vous coucher, vous pensez vous coucher un jour ?

Pas de réponse, chacun utilise le peu d’intelligence qu’il possède et se rend compte de la situation. Le chef de bord se couche et, presque instantanément, se met à ronfler. Tout le bateau tremble. La mer oscille de ces vibrations. Impossible de fermer l’œil. Olivier essaye de lire son magazine à l’aide de son projecteur frontal mais n’arrive pas à se concentrer et commente chaque ronflement d’une plainte. Minuit et demi, Vincent en remet un couche vers le boulet belge :

- Tu penses te coucher un jour ? La lumière, les ronflements et tes commentaires ça fait beaucoup !

Olivier râle. Ne comprend pas que d’autres que lui puissent avoir leurs mots à dire. Tentant de faire un effort, il s’enfonce sous son duvet pour dissimuler un peu sa lumière. Entre une et deux heures du matin, Olivier finit par s’endormir et se met lui aussi à ronfler. Elodie, contente de pouvoir enfin partager un mouvement de groupe, profite de l’ambiance et commence à ronfler elle aussi. Vincent n’en peut plus, il est presque quatre heures et il ne dort toujours pas.

Soudain, d’un geste vif, Vincent tend la main et saisit le bras du chef de bord. Il le secoue jusqu’à le réveiller et lui ordonne de se tourner pour que ses ronflements s’arrêtent. Il tapote Elodie. Les deux arrêtent de ronfler. Seule reste les nuisances sonores d’Olivier qui, seules dans le bateau, sont presque synonymes de silence. Vincent regrette de n’avoir pas agi plus tôt. Enfin, il s’endort… pour se réveiller à 9h. La nuit a été courte mais il a pu réfléchir. Sa première action du matin est de consulter le GPS de son téléphone. Entre le port où le bateau est amarré et le parking où il a laissé sa voiture il y a deux jours, il n’y a que 14 kms de bitume. Avec son sac sur le dos, cette distance peut être avalée en trois heures de marche. Cette triste aventure peut s’arrêter dans trois heures... trois petites heures…

Vincent ne veut pas se lancer dans cette fuite sans y réfléchir calmement. Partir maintenant serait un échec. Cette idée fait son chemin et parait de plus en plus inconcevable. Il va falloir s’accrocher, faire face, être plus intelligent et se servir de ses capacités d’adaptation pour résister.

Vincent sort finalement du bateau sans son sac et laisse les trois autres déjeuner. Il marche seul, fatigué mais déterminé, la tête dans le vent d’une tempête annoncée.

 

A suivre...

 

 

 



05/11/2014
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