LIBRE COURS A L'ENCRE NOIRE

Howahkan (acte 2, part 1)

 

 

Les journées semblaient doubler de longueur lorsque l’hiver inondait de neige et de froid la vallée. Chaque homme était forcé d’être inactif à l’abri dans sa petite maison. Pour passer le temps et combler le vide créé par l’isolement, les anciens se plaisaient à raconter aux jeunes générations des histoires venues des anciens temps. Des récits jamais portés sur le papier. Des contes et légendes n’existant que grâce à la force de la tradition orale. Leurs fondements étaient véridiques mais le déroulement des faits souvent enjolivé par les divers conteurs s’étant appropriés ces histoires de génération en génération.

En cette journée d’hiver, le vent était glacial. La neige tombait à gros flocons et le froid était si intense qu’il était capable de faire geler sur place quiconque oserait franchir le pas de sa porte. Julie et Marc s’ennuyaient près du feu. Les deux enfants n’avaient qu’un an d’écart. Il s’entendaient bien, jouaient très souvent ensemble. Mais la longueur de l’hiver avait épuisé toutes les idées et asséché la créativité de ces esprits pourtant fertiles. Le soleil manquait. Le froid détruisait les parfums. La neige n’offrait qu’un décor monochrome.

Soudain, comme touchée par une idée géniale, Julie se précipita vers François, son grand-père :

- Grand-père, raconte-nous une de tes histoires !

François était tranquillement installé sur son fauteuil face à la cheminée diffusant une chaleur apaisante. Il avait trouvé refuge chez sa fille pour ne pas rester seul dans sa triste demeure pendant ce long hiver. En échange, celle-ci ne lui avait rien demandé. Mais rapidement, François comprit qu’il devrait se plier au jeu du conteur d’histoire aussi souvent que le réclameraient les enfants. Cela faisait plusieurs semaines que la météo empêchait toute sortie. François connaissait beaucoup de contes et de nouvelles concernant la vallée et ses mystères mais il lui était de plus en plus difficile de satisfaire le besoin d’originalité réclamé par la nouvelle génération.

- Quelle histoire voulez-vous que je vous raconte, demanda François ?

Les deux enfants se regardèrent et sans se concerter verbalement crièrent :

- Howahkan ! Howahkan !

François hocha la tête en souriant.

- Vous savez très bien que je n’ai pas le droit de vous raconter cette histoire. Ce qu’elle contient... Les vérités qui sont gardées dans ses lignes... Les personnages qui peuplent ces aventures… Tout ceci ne peut pas être révélé à des enfants si jeunes et non encore usés par les grands coups de la vie. Je suis désolé les enfants…

- Grand-père, hurla Marc ! Tu ne peux pas nous refuser une nouvelle fois cette histoire ! J’ai dix ans et Julie en a onze… Nous sommes assez grands pour travailler dans les champs, pour nous occuper des animaux et des ventes au marché. Nous sommes assez grands pour écouter cette histoire !

- C’est pour vous protéger que je ne veux pas vous la raconter. Je n’ai pas le droit de vous faire basculer dans l’enfer que devient la vie une fois les détails de l’existence d’Howahkan connus.

Les deux enfants se regardèrent sans plus trouver d’argument à opposer au doyen de la famille. Gênée par ce manque de répartie, Julie fit la moue avant d’ajouter :

- Tu l’as connu, toi, Howahkan ?

François prit sa petite fille par les épaules et l’approcha de lui en souriant.

- Non, je ne l’ai jamais rencontré. Et je prie tous les jours pour n’avoir jamais à lui faire face.

- Qui t’a parlé de lui alors, insista Marc ?

Pour occuper les enfants pendant cette longue après-midi d’hiver, François se résigna à lâcher un peu de lest concernant l’histoire vraie qui s’était déroulée au col des Chamans il y a maintenant 90 ans. Il prit ses deux petits-enfants sur ses genoux et, une main ferme et rassurante sur l’épaule de chacun, il commença à livrer quelques bribes du fameux récit.

- C’est mon père qui m’a tout raconté. Votre arrière-grand-père. Lui a vu Howahkan. Il lui a même parlé. Il l’a côtoyé pendant de nombreuses années comme un voisin, presque un ami. Mais vous savez, la vie n’est pas un parcours rectiligne. Ce n’est pas une route toute droite sur laquelle il suffit d’avancer pour atteindre ses buts. Les destins se croisent, s'entremêlent et se confrontent. Il est parfois difficile de composer avec les envies et les besoins de chacun. Souvent, le hasard prend une part importante dans les soubresauts de la vie. L'ego des hommes… la convoitise… la jalousie… l’humain est un animal tellement fier de ce qu’il est qu’il lui est souvent impossible de se remettre en question. Revenir sur ses actes, s’avouer qu’il a eu tort… Souvent l’homme préférera mourir que d’avouer qu’il s’est trompé. Vous aurez bientôt tout le loisir de vous en rendre compte.

- Tu vas nous la raconter cette histoire grand-père, reprit Julie ? Ou tu comptes simplement aligner les mises en garde ?

François rigola. Ses petits-enfants étaient définitivement bien grands pour leur âge. Peut-être même assez mûrs pour entendre tous les détails sordides du récit d’Howahkan.

- Je ne vais rien vous raconter aujourd’hui les enfants. Je n’ai pas le droit de mettre en danger votre tranquillité d’esprit. Trouvez un jeu pour vous occuper, je vais retourner à ma contemplation du feu.

- Quand serons-nous en âge de connaître cette histoire, insista Marc ?

- Ce n’est pas tout à fait une question d’âge. Deux circonstances me forceraient à vous révéler cette vérité. La première est l’imminence de ma mort. Je n’ai pas le droit de mourir sans transmettre cette histoire. C’est cette circonstance qui a poussé mon père à me dévoiler l’histoire d’Howahkan. La seconde circonstance qui m’obligerait à vous raconter ce récit est le retour dans notre vallée d’un fléau beaucoup plus puissant que toutes les maladies et toutes les famines auxquelles nos ancêtres ont dû faire face. Si un jour vous entendez de ma voix le récit d’Howahkan, dites-vous que ce sera le prélude d’un malheur… un petit si vous me voyez couché et mourant… un immense si je suis encore vaillant sur mes deux jambes !

 

*

 

*        *

 

Il était maintenant temps. Le silence avait permis de sauvegarder l’innocence de Julie et Marc pendant une bonne vingtaine d’années. Ce temps révolu devait laisser place à la vérité et au combat qui devait être mené pour la vie dans la vallée. La divulgation d’un secret ancien peut souvent décevoir. L’imaginaire est un très bon travailleur quand il a du temps. La déception est la pire des réactions à laquelle peut assister un homme dévoilant une vérité importante. Il existe toutefois une réaction qui fait frémir l’orateur quand bien même il s’y attend. La surprise. La stupéfaction. Le choc clouant l’auditeur sur son séant. François s’était préparé à cette narration une bonne partie de sa vie. Depuis que son père, sur son lit de mort, lui avait raconté cette histoire. François aurait préféré attendre que son dernier jour arrive pour faire sortir de sa mémoire ce passif noir de la vallée. Le destin en avait décidé autrement. Howahkan avait décidé ! Mettre en garde faisait partie du travail de la cellule de veille. Le plus grand nombre ne pouvait comprendre ce danger aux portes du village. Seuls quelques esprits plus forts devaient être initiés et entrer en guerre contre les puissances chamaniques.

Suite aux récentes morts survenues au col des Chamans et dans le village, François avait décidé que Julie et Marc devaient être informés du passé. Le frère et la sœur, âgés maintenant de vingt et vingt et un ans, devaient entrer dans la lutte contre les esprits animés d’une volonté noire.

 

A suivre...

 

 

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03/05/2014
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